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SOMMAIRE DE LA COMPILATION

Ces pages regroupent les textes publiés par Les Amis de Vàn durant l'année 1996,

dans les bulletins N° 5 à 8.

Editorial du bulletin N°5 - 03/1996

Editorial du bulletin N°6 - 06/1996

Editorial du bulletin N°7 - 09/1996

Editorial du bulletin N°8 - 12/1996

Historique de la Cause du Frère Marcel:

Présentation des Colloques:

Prions avec le Frère Marcel

Méditons avec le Frère Marcel

Témoignages:

Témoignage du Père Khân sur Quang-Uyên (fin):

   Témoignage du Professeur Lê Hûu Muc

sur les traductions du Père Boucher

Oeuvres du Frère Marcel déjà publiées

 

Editorial du bulletin N°5

 

Le 8 Décembre 1995, en la Fête de l'Immaculée Conception.

Selon une distinction grossière qu'il conviendrait de nuancer, il y a deux sortes de petites âmes:

-celles qui ne deviendront pas de grands saints et peuvent rester longtemps imparfaites, mais finiront par mourir d'amour selon le martyre évoqué par Thérèse dans sa consécration;

-celles au contraire qui deviendront grandes.

Thérèse en est un exemple et Vàn lui-même, qui fut  un très grand saint, un enfant martyr...et un grand théologien , selon la parole du Christ:  Je te loue, Père, d'avoir caché ces choses aux sages et aux intelligents, et de les avoir révélées aux petits. Oui, je te loue de l'avoir décidé ainsi dans ton bon plaisir. 

Le premier théologien de l'histoire chrétienne est Jésus Lui-même à 12 ans, bousculant les Docteurs de la Loi. C'est dans le sillage de cette théologie des petits, dont Thérèse est le Docteur pour notre siècle, que j'ai toujours voulu situer ma propre recherche. J'ai trouvé alors chez Vàn une lumière éblouissante qui m'a rempli de joie, et dans laquelle je me suis engouffré. Il a su poser les  vraies questions , les plus difficiles et les plus dangereuses, celles que les enfants posent spontanément dans leur candeur implacable.

Ces questions risquent d'entraîner notre intelligence présomptueuse dans un naufrage qui peut aller jusqu'à la folie, s'il ne débouche pas dans l'adoration où le petit enfant envoyé à Saint Augustin, et qui était un Ange, l'a invité à se plonger à propos du mystère de la Sainte Trinité.

Ainsi Vàn demande-t-il intrépidement à Jésus et à Marie si le démon pourrait se convertir un jour, problème crucial qui balaierait tous les autres si on pouvait lui trouver une réponse confortable. Mais il ne comporte pas de réponse confortable, et je me suis jeté à la suite de Vàn dans les abîmes où cette méditation nous entraîne, abîmes qui sont la clé des drames enveloppant la condition humaine.

De même, Thérèse était-elle tourmentée à l'extrême par la question du salut des petits enfants morts sans baptême, torturée de les croire exclus du royaume des Cieux selon le catéchisme qu'on lui enseignait, coupés du Coeur du Christ dont elle n'admettait pas qu'Il puisse se désintéresser d'eux. Jésus propose à Vàn une réponse très audacieuse qui, comme toutes les grandes lumières, soulève plus de questions qu'elle n'en résout - refusant là encore à notre intelligence le confort qu'elle réclame toujours.

Je pourrais multiplier les exemples. Je m'arrête pour faire court, et signaler seulement la présence irremplaçable, merveilleuse, fraternelle, de Vàn dans ma pauvre vie de théologien. C'est à son école que je veux me mettre, comme à celle de Thérèse, pour la proposer aux sages et aux intelligents...

P.Marie-Dominique Molinié, o.p.

 

Editorial du bulletin N°6

 

Juin 1996

En ce jour de Pâques 1996,

Parmi les innombrables enfants de sainte Thérèse de Lisieux, il faut compter désormais Marcel Vàn, ce jeune vietnamien, martyr de l'idéologie marxiste, né trois ans après la canonisation de la jeune carmélite. Il est mort à 31 ans.

Comment s'étonner de la prédilection de la sainte pour ce jeune homme? On sait que si elle avait vécu, soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face serait partie au Carmel de Saigon (fondé par le Carmel de Lisieux en 1861), ou au Carmel d'Hanoi, (fondé aussi par Lisieux en 1895). Sa vocation missionnaire avait été reconnue par sa prieure, Mère Marie de Gonzague. Mais la tuberculose l'empêcha de partir et la cloua sur son lit à l'infirmerie du Carmel jusqu'au 30 septembre 1897. Elle avait 24 ans.

Elle a rêvé du Vietnam (on disait alors Indochine) d'autant plus que dans les derniers mois de sa vie, elle a eu un coup de coeur pour le jeune martyr Théophane Vénard, décapité à Hanoi en 1861, à trente et un ans (comme Vàn).

Ces amitiés spirituelles sont de grands mystères qui nous révèlent quelque chose de la Communion des Saints.

Quoi qu'il en soit, le lien profond entre Thérèse de Lisieux et le Vietnam s'est concrétisé dans son amitié céleste pour le petit Marcel VAN. La fécondité d'une telle union s'éclairera peu à peu. Nous ne pouvons que la pressentir. Déjà elle porte ses fruits de grâces.

Guy GAUCHER,

Evêque auxiliaire de Bayeux et Lisieux.

 

Editorial du bulletin N°7

 

Cité du Vatican, en la solennité du Sacré Coeur.

Le Saint-Père et la France.

En septembre 1996, le Saint-Père se trouvera une nouvelle fois sur le sol de France, ce pays cher à son coeur. Depuis le mémorable voyage de 1980 au cours duquel il avait lancé sa célèbre question:  France, qu'as-tu fait des promesses de ton baptême? , plus de quinze années ont passé, mais l'interrogation reste toujours aussi forte.

En mai et juin 1980, Jean Paul II se rendait en France pour la première fois et, si l'on excepte les deux passages de Pie VI, mort en captivité à Valence, et de Pie VII, venu couronner Napoléon Bonaparte à Notre-Dame de Paris, c'était aussi la première fois qu'un Pape se trouvait en France de son plein gré depuis Alexandre III en 1163.

Le Saint-Père avait salué la France avec affection et lui avait dit ces paroles splendides:  Je suis profondément heureux de te visiter en ces jours et de te montrer mon désir de te servir en chacun de tes enfants.  Cette volonté de service de l'Eglise en tout point de la terre n'a cessé d'être réaffirmée par le Souverain Pontife au cours de ses multiples déplacements à l'étranger. Mais il avait tenu à souligner le privilège du pays de Clovis:  La France fut la première communauté nationale d'Occident à se déclarer fille de l'Église . Et, avec force, il lançait aux chrétiens de France cet appel vibrant:  Vous m'avez invité à constater, quinze cents ans ou presque après le baptême de votre nation, que la foi y est toujours vivante, jeune, dynamique .

Par la suite, quatre autres voyages ont été effectués:

-Les 14 et 15 août 1983, pour l'année sainte du Jubilé de la Rédemption, le Saint-Père se rend en pèlerinage à Lourdes. Il y prie  aux intentions de la nation française tout entière et de ceux qui ont la tâche de la gouverner et de la servir . Il confie la France à la Vierge Marie et lui demande de défendre  les fils et les filles de cette terre contre la mort de l'âme . (Homélie de la messe du 15 août).

-Du 4 au 7 octobre 1986, le Pape en visite à Lyon, Paray-le-Monial, Ars et Annecy, précise sa pensée à propos de la France; il y vient pour la troisième fois, ce qui est déjà remarquable. La France, dit-il,  demeure un grand pays, à l'histoire prestigieuse, familière aux autres nations, et en particulier à ma Pologne natale . Sa tradition culturelle et sa tradition spirituelle lui donnent une responsabilité particulière. Et l'appel à la fidélité revient une nouvelle fois dans l'homélie pour la béatification du Père Chevrier:  Église qui es en France, toi que je visite pour la troisième fois, à l'invitation de la Conférence épiscopale, souviens-toi de ton baptême, de l'Alliance que Dieu n'a jamais reniée! 

Au terme de ce voyage, le Pape déclarait:  Il m'a semblé rejoindre l'âme profonde de la France, dont les fils et les filles n'ont pas oublié leur histoire chrétienne, leur vocation de baptisés, même environnés par le brouillard de l'indifférence religieuse, du doute ou du respect humain qui trop souvent tend à les replier sur eux-mêmes .

-Un quatrième voyage permet au Pape de visiter l'est de la France: Strasbourg, Metz, Nancy et Mulhouse en sont les étapes, du 8 au 11 octobre l988. La nécessité de fonder la construction européenne sur des bases chrétiennes est particulièrement soulignée. L'attention portée aux difficultés économiques de la région ne sont pas oubliées, car le Pape s'efforce toujours, dans les pays qu'il visite, de rester attentif à la condition des plus démunis.

-A La Réunion, enfin, le l° mai 1989, c'est un contact avec la France d'outre-mer qui est donné au Saint-Père. Le message qu'il y délivre dit bien ce qu'il attend des catholiques de France:  Ce que l'Église veut accomplir par sa mission, c'est favoriser et élever tout ce qui se trouve de vrai, de bon, de beau dans la communauté humaine et contribuer ainsi à la paix entre les hommes, pour la gloire de Dieu .

Il n'est donc pas nécessaire d'insister davantage: le Pape aime la France. Elle est l'un des pays qu'il aura le plus souvent visités. Sa venue au mois de septembre s'inscrit dans le cadre exceptionnel de la commémoration du quinzième centenaire du baptême de Clovis, premier souverain d'Occident après Constantin à s'être converti à la foi chrétienne. II fait oeuvre de pasteur et d'apôtre en foulant une nouvelle fois le sol français. Il ne veut être que le Père commun, l'Evêque de l'Eglise  qui préside à la charité  (Saint Ignace d'Antioche). A ce titre, il sent l'impérieux devoir, comme il le répète souvent, de  confirmer ses frères dans la foi  (Lc 22, 32).

Si l'on y regarde de plus près, on s'aperçoit que ses voyages en tant que Pape furent précédés de nombreux séjours comme étudiant, prêtre et Evêque. C'est en 1946 qu'il se rendit pour la première fois en Ile-de-France et il eut l'occasion de raconter combien le dévouement des prêtres français l'avait impressionné. Ainsi, c'est plein de confiance et d'espérance qu'il retrouvera la patrie de saint Rémi, de sainte Clotilde et de saint Louis-Marie Grignon de Montfort. Il a depuis longtemps fait l'offrande de sa vie dans un mouvement qu'exprime bien sa devise Totus tuus, empruntée précisément à saint Louis-Marie, comme le rappellera le pèlerinage à Saint-Laurent-sur-Sèvre.

On ne peut que souhaiter aux catholiques de France la grâce d'avoir un beau temps pour recevoir, du ciel ensoleillé de Rome, celui qui viendra visiter la fille aînée de l'Église.

Mgr Vincent Tran Ngoc Thu.

Secrétaire particulier de Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II,

jusqu'en 1996.

 

Editorial du bulletin N°8

 

 Etre prêtre dans l'aujourd'hui du Christ 

Pour un évêque, il n'y a pas de souci plus vif que celui des vocations sacerdotales et de la préparation des jeunes à ce ministère du prêtre.

L'avenir du peuple chrétien en dépend largement

Dans un livre qui se lit d'un trait, le pape, à l'occasion de ses 50 ans de sacerdoce, retrace son itinéraire de prêtre et d'évêque. Au cours de son témoignage, il aborde ce sujet:

 Combien de fois la pensée et le coeur d'un évêque se portent vers le séminaire! C'est le premier objet de sa sollicitude On a coutume de dire que le séminaire est pour un évêque la  pupille de l'oeil . L'homme défend la pupille de son oeil car elle lui permet de voir. En quelque sorte, l'évêque voit aussi son Eglise à travers le séminaire, du fait qu'une grande part de la vie ecclésiale dépend des vocations sacerdotales.  (p.112)

Cette préoccupation est au coeur du ministère épiscopal. Appelé très tôt dans ma vie de prêtre, à servir les futurs prêtres dans leur préparation, j'ai perçu en profondeur, à quel point, en effet, la vie des communautés chrétiennes de demain était liée à la formation de ces futurs ouvriers! La vie de saint Jean-Marie Vianney en est une illustration exemplaire. Le curé qu'il a été a marqué d'une empreinte décisive le peuple qui lui était confié. Il n'y a pas d'excès à dire :  tel prêtre, telle paroisse! 

Aujourd'hui, la manière de vivre le ministère presbytéral est différente de celles qu'ont connue les prêtres aînés. La pénurie y est pour quelque chose : c'est souvent sur une région entière que le prêtre exerce sa tâche. L'époque d'un curé attaché à un seul clocher a disparu! C'est pourquoi il est difficile au prêtre d'aujourd'hui d'être en contact direct avec les gens; il est obligé de passer souvent par des relais.

Et, de fait, le prêtre collabore avec beaucoup d'hommes et de femmes qui, au nom de leur baptême s'associent à lui pour animer et dynamiser la communauté chrétienne. Beaucoup d'entre eux sont présents auprès des malades, des pauvres, des jeunes à catéchiser, des personnes en deuil... Le diaconat permanent, remis en valeur par le concile Vatican II s'amplifie en bien des régions : il appelle les prêtres à entrer dans une collaboration inédite avec ce ministère qui ne leur est pas encore très familier.

Dans ce contexte, les jeunes générations ne manquent pas de s'interroger. Parfois, elles en arrivent à se demander : Aura-t-on besoin de prêtres demain? Serons-nous vraiment utiles?  Avec cette nouvelle façon de vivre le sacerdoce, c'est parfois l'identité du prêtre qui se trouve remise en cause.

Les évêques sont conscients de ces interrogations. D'où la réflexion approfondie qu'ils ont menée avec le Pape sur la nature du ministère du prêtre et qui a donné lieu à ce texte admirable de  Pastores dabo vobis  :

"La connaissance de la nature et de la mission du sacerdoce ministériel, dit le texte, est le présupposé nécessaire et en même temps le guide le plus sûr et le stimulant le plus fort pour développer dans l'Eglise l'action pastorale en vue de la promotion et du discernement des vocations sacerdotales et de la formation de ceux qui sont appelés au ministère ordonné. (N° 11)

De fait, comment peut-on se préparer à une réalité si elle n'apparaît pas clairement aux yeux de ceux qui veulent lui consacrer leur vie! L'Eglise a donc redit ce qu'était le ministère en rappelant ce qui lui est essentiel.

 Dire  et  redire  la nature du ministère presbytéral est une chose capitale. La  vivre  ne l'est pas moins. C'est souvent à travers la figure vivante et dynamique d'un témoin que les jeunes peuvent redécouvrir concrètement ce qu'est le prêtre. Comment pourrait-on en douter quand on vient à Ars, quand on apprend à connaître la vie de Jean-Marie Vianney?

C'est pourquoi il m'a paru souhaitable d'ouvrir un séminaire en ces lieux - et dans la proximité de celui que l'Eglise présente à tous les prêtres comme le grand témoin des curés du monde - d'inviter des jeunes à se préparer au sacerdoce!

Jean-Paul Il, dans son livre précédemment cité, indique la direction à prendre pour un renouvellement du ministère presbytéral:

"Le Concile a montré comment un renouveau authentique était possible et nécessaire dans la pleine fidélité à la Parole de Dieu et à la Tradition. Mais au-delà du renouveau pastoral qui s'impose, je suis convaincu que le prêtre ne doit pas avoir peur d'être hors du temps. parce que  l'aujourd'hui  humain de tout prêtre s'inscrit dans  l'aujourd'hui  du Christ Rédempteur. Le plus haut devoir du prêtre en tout temps est de retrouver au jour le jour son  aujourd'hui  sacerdotal dans  l'aujourd'hui  du Christ, dans cet aujourd'hui dont parle la Lettre aux Hébreux Cet  aujourd'hui  du Christ est intégré dans toute l'histoire, dans le passé et dans l'avenir du monde, de tout homme et de tout prêtre.  Jésus-Christ est le même hier et aujourd'hui. Il le sera à jamais.  Si donc nous sommes plongés par notre  aujourd'hui  humain et sacerdotal dans  l'aujourd'hui  du Christ, il n'y a aucun danger pour nous d'être  d'hier , dépassés. Le Christ est la mesure de tous les temps.  (pp 97-98)

Pour être prêtre, il faut en effet, à toutes les époques, revenir à Celui qui est l'Unique Berger et, dans cette redécouverte, puiser les ressources capables d'en renouveler la figure au sein de l'actualité de l'histoire.

Si Jean-Marie Vianney peut aujourd'hui encore être pris comme témoin du ministère du prêtre, c'est parce qu'il a vécu sa charge de curé dans la sainteté, c'est-à-dire dans une proximité de tous les instants avec le Christ. Seule, la sainteté est capable d'unir ce que notre raison sépare ou même oppose. Ainsi, par exemple, le ministère de Jean-Marie Vianney ne donne jamais le sentiment que, pour être prêtre selon le Coeur du Christ, il faille choisir entre Dieu et les hommes. Comme tous les saints, il a su allier, dans une synthèse vivante, l'amour de Dieu et l'amour des hommes. Il était tout autant à veiller la présence du Christ au tabernacle qu'à servir ses paroissiens. La gloire de Dieu ne faisait qu'un avec la charité pastorale!

Grand bienfait que celui de la sainteté vécue par un prêtre! Elle rapproche le visage du Bon Berger de la brebis la plus éloignée!

+ Père Guy Bagnard, Evêque de Belley-Ars.

 

Historique de la Cause du Frère Marcel Vàn

 

Bulletin N°5 et 6: Présentation des Colloques

Tout au long de l'année 1995, cette rubrique historique a permis de souligner l'action constante de la Providence Divine au profit de la Province Rédemptoriste de Sainte Anne de Beaupré, dont les Pères et les Frères Canadiens Français sont partis, dès 1925, fonder au Vietnam une nouvelle Province, érigée canoniquement le 27 mai 1964.

Le Père Antonio Boucher occupe, dans ce contexte, une place remarquable : il a été le Directeur spirituel du Frère Marcel, Joachim Nguyên-Tân-Vân, et a passé plus d'un quart de siècle à traduire du vietnamien en français les différents écrits laissés par le petit Frère, mort d'épuisement dans un camp de rééducation, au Nord Vietnam, le 10 juillet 1959.

Le Frère Marcel est le  cadeau du ciel  au seuil du troisième millénaire ; ce petit frère de Thérèse n'en finit pas d'émerveiller tous ceux et celles qui le rencontrent, grâce aux livres du Père Marie Michel diffusés dans le monde entier.

En cette année de l'ouverture du centenaire de la mort de la Petite Sainte de Lisieux, nous choisissons délibérément de mettre l'accent, dans cette rubrique historique, sur la  stéréo  qui existe entre Thérèse et Vàn .Nos lecteurs auront compris qu'il s'agit de présenter les Ecrits du Frère Marcel.

Les Colloques du Frère Marcel avec

Jésus, Marie et Thérèse de L'Enfant-Jésus.

En présentant sa traduction des Colloques du Frère Marcel avec Jésus, Marie et Thérèse de l'Enfant-Jésus, connus grâce au livre du Père Marie Michel  L'Amour me connaît , le Père Antonio Boucher écrit:

 A titre de maître des novices et de conseiller spirituel, j'atteste que j'ai vécu au jour le jour, à côté du Frère Marcel, tous les événements et petits faits racontés sur les petites feuilles qu'il me remettait régulièrement chaque semaine . En lisant ces textes, je pressentais que ce tout petit Frère, que Jésus, Marie et Thérèse conduisaient par la main, aurait un rôle à jouer dans l'Eglise et dans le monde. Aussi je me sentais comme contraint de ne laisser rien perdre du trésor qui me passait sous les yeux, par les mains et par le coeur. Je reconnais humblement que le Frère Marcel m'a appris sur la vie spirituelle beaucoup plus que j'ai pu lui en apprendre moi-même.

Rédigé en 1945-1946, alors que le Frère Marcel est au Noviciat du Monastère de Thai-hà, dans la banlieue de Hanoi, ce document se situe dans le prolongement direct des événements de l'automne 1942, à Quang-Uyên, et que nous évoquons dans les rubriques:  Méditons avec le Frère Marcel  et   Témoignages .

Ecrit avant le 7 octobre 1945:

Jésus: Marcel, humble enfant de mon amour, écoute les paroles que je t'adresse ici et mets les par écrit...Les paroles que je t'adresse ici sont des paroles de vérité que seuls les simples et les humbles sont capables de comprendre...

Marcel: Mon Jésus, j'ai une très mauvaise écriture...

Jésus: Peu importe. Ecoute et continue à écrire; puis crois bien que jamais je n'attache de prix à la beauté extérieure; jamais ces choses-là n'ont le pouvoir de toucher mon coeur aimant; seules les âmes qui m'aiment avec la sincérité de l'enfant sont capables d'attirer mon amour...

Je t'ai choisi pour être la mère des âmes; or c'est à force de souffrances que la mère parvient à faire de ses enfants des personnes de valeur...

Ah ! mon enfant, voilà que tu hésites à écrire? Il ne faut pas que cela te décourage. En te manifestant ainsi mon amour, mon grand désir est de te voir attirer vers moi un grand nombre d'âmes qui m'aimeront comme toi...Oh ! mon époux, combien d'âmes attendent les paroles que tu écris pour apprendre à m'aimer. Continue donc à écrire, et sois bien persuadé que ces paroles attireront plus tard en foule les âmes de tes compatriotes.

Ecrit le 7 octobre 1945:

Jésus: Le travail que je t'ai confié, fais le vite, car je ne te laisserai pas longtemps sur cette terre d'exil...C'est seulement après que je t'aurai appelé à moi, que le monde pourra connaître les paroles que je t'ai demandé d'écrire, et les mettre en pratique...

Ecrit le 22 octobre 1945:

Jésus: Ne doute jamais de la vérité de mes paroles. Ecoute-moi avec beaucoup d'attention, je te le répète encore une fois. Si les paroles que je t'adresse ici n'étaient pas vraies, comment pourrais-je jamais laisser tomber dans l'erreur une âme qui m'aime et se confie à moi sans réserve?

Ecrit le 28 octobre 1945:

Jésus: Le travail que j'attends de mon épouse, c'est qu'elle aille à la recherche des âmes.

Ecrit le 2 novembre 1945:

Jésus: Mon petit apôtre...Ne pleure pas...Extérieurement, je dois cacher la beauté de la fleur aux yeux du monde, car si le monde en connaissait la beauté, quel éclat garderait-elle encore à mes yeux? Oui, je dois pour le moment la tenir cachée; ce n'est que plus tard que je la ferai voir au monde pour qu'il la connaisse et la convoite. Ainsi, elle attirera à moi un plus grand nombre d'âmes.

Ecrit le 4 novembre 1945:

Jésus: Garde une entière confiance en ton directeur comme en moi-même, c'est là que tu trouveras alors mon amour.

Ecrit le 9 novembre 1945.

Petite fleur de mon amour, n'oublie pas le pays que j'aime le plus, tu entends le pays qui a produit la première petite fleur et en a fait naître beaucoup d'autres depuis lors. Cette petite fleur chérit et gâte les autres petites fleurs, et c'est elle que j'ai choisie pour être, ô ma petite fleur, ta soeur aînée. Tu sais maintenant quelle est cette fleur, n'est-ce pas? Ici, je ne veux t'appeler que petite fleur. O ma fleur, considère cette fleur-là et comprends bien ceci: C'est en France que mon amour s'est tout d'abord manifesté. Hélas! mon enfant, pendant que le flot de cet amour coulait par la France et l'univers, la France, sacrilègement l'a fait dériver dans l'amour du monde, de sorte qu'il va diminuant peu à peu... C'est pourquoi la France est malheureuse. Mais, mon enfant, la France est toujours le pays que j'aime et chéris particulièrement... J'y rétablirai mon amour... Le châtiment que je lui ai envoyé est maintenant fini. Pour commencer à répandre sur elle mon amour, je n'attends désormais qu'une chose: que l'on m'adresse assez de prières. Alors, mon enfant, de la France, mon amour s'étendra dans le monde. Je me servirai de la France pour étendre partout le règne de mon amour. (J'avais manifesté déjà ces choses à une ou deux âmes, mais toi, mon petit enfant, tu les ignorais encore; c'est pourquoi je te les dis maintenant.) Mais pour cela, il faut beaucoup de prière, car nombreux encore sont ceux qui ne veulent pas se montrer zélés pour ma cause. Surtout, prie pour les prêtres de France, car c'est par eux que j'affermirai en ce pays le  Règne de mon Amour ... O mon enfant, prie beaucoup. Sans la prière, on rencontrera de nombreux obstacles pénibles à surmonter, et le règne de mon amour ne s'établira que très difficilement.

Mon entant, le règne de mon amour une fois libéré en France, je me servirai de ce pays pour étendre ce règne à tout l'univers... Mon enfant, la France, vois-tu, est un pays que j'aime et chéris particulièrement. En contemplant la fleur, ta soeur aînée, souviens toi de prier pour que le pays que j'aime et chéris particulièrement ait le courage de se sacrifier pour le  règne de mon amour.  Pour ce qui est de ton pays, le Vietnam, à vrai dire, la France est actuellement son ennemie; mais dans l'avenir, elle fera de lui un pays qui me rendra un plus glorieux témoignage. Prie, mon enfant, oui, prie pour que la France soit toujours fidèle à l'amour que je lui ai manifesté sur cette terre. Continue de prier aux intentions que t'a recommandées ton directeur.

Commence maintenant à lui raconter ce que je t'ai fait connaître au sujet de la France, en la fête de ma Royauté... Raconte toujours, si tu oublies quelque chose, je te le rappellerai.

Mon Père, ce jour-là (fête du Christ Roi en 1945), je vis Jésus assis un peu courbé et le visage triste, avec des écouteurs appliqués aux oreilles; puis des voix se firent entendre dans les langues de divers pays, même du Vietnam, comme je l'ai raconté plus haut. Quand vint le tour de la France, Jésus parla très longtemps, de sorte que j'ai tout oublié et que j'étais incapable de me rappeler quoique ce soit. Ce n'est que le jour ou vous m'avez demandé de prier pour la France, que cela m'est revenu à la mémoire, et que Jésus me l'a rappelé en me demandant de vous en parler...

Mon Père, quand les voix cessèrent, Jésus m'a aussi parlé. Il était toujours assis, la tête penchée en avant, une main soutenant son menton et l'autre posée sur sa poitrine, et il avait l'air préoccupé. J'entendis soudain en français une voix d'homme qui s'adressait à lui sur un ton très injurieux (c'est tout ce que j'ai pu comprendre). A ce moment-là, la Sainte Vierge était aussi présente, ne cessant de regarder Jésus d'un air bien triste. J'entendis ensuite, venant d'un autre côté, une voix parlant également français et qui consolait Jésus.

Mais cette voix très faible était entièrement couverte par la voix injurieuse...

Ecrit le 12 novembre 1945:

Jésus: O France, je t'aime; et vous, Français, savez-vous bien quels sont envers vous les sentiments de mon coeur? Voyez-vous mes larmes qui se mêlent à celles d'un étranger occupé à écrire les paroles que je lui dicte ici pour vous?...

Ecrit le 13 novembre 1945:

Jésus: Oh mon enfant, dans mon amour, je te donne le nom de seconde petite Thérèse. Dans le ciel, je te donnerai comme fonction à toi, petite Thérèse, d'aider Thérèse, ta soeur aînée, à répandre dans le monde la confiance en mon amour...Continue avec Thérèse à cueillir des roses en très grand nombre, de façon à en remplir mon coeur, et plus tard, dans le ciel, tu n'auras, comme Thérèse qu'une occupation:  Faire tomber une pluie de roses sur ton pays et sur le monde entier...  

Ecrit le 1° janvier 1946:

Marcel: Petit Jésus, est-il vrai que les saintes t'aiment d'un amour plus ardent que les saints?

Jésus: ...Voici une réponse générale qui t'aidera à comprendre. Lorsqu'il s'agit des âmes, souviens-toi Marcel, qu'il n'est pas question de distinguer entre homme et femme; comme je te l'ai déjà dit auparavant, chaque âme m'aime d'un amour différent. Celles qui m'aiment d'un amour vigoureux, même si je ne leur donne aucune marque extérieure d'amour, ne m'abandonnent jamais, car elles me connaissent suffisamment, et sont toujours disposées à agir avec courage...

Cependant, Marcel, il en est autrement pour les âmes faibles comme la tienne. Ces âmes m'aiment d'un amour vraiment ardent, mais qui manque de constance, de sorte que si, au moment de l'épreuve, mon amour ne se manifestait pas à elles, peut-être que ces âmes n'auraient plus la force d'aimer. Je suis donc obligé de manifester mon amour à ces âmes faibles; sans cela, elles tomberaient, et une fois tombées, malgré tous leurs efforts, je ne sais si elles pourraient encore se relever. As-tu compris, Marcel? D'ordinaire, c'est à ces petites âmes que je dois manifester mon amour; et c'est précisément parce qu'elles sont faibles, qu'elles me rendent plus de gloire, en faisant éclater mon amour chaque jour davantage. C'est pour cette raison que ta soeur Thérèse t'a appris à accepter avec joie ta faiblesse; plus ta faiblesse est grande, plus aussi l'amour te soutient. Et du fait que quelqu'un reconnaît sa faiblesse, ce n'est pas pour moi une raison de l'abandonner; car l'essentiel, pour moi, c'est qu'on m'aime d'un coeur sincère.

Marcel: Alors je suis donc très faible?

Jésus: Oui, Marcel, tu es très faible. Je n'ai jamais vu une âme plus faible que la tienne. Toutefois, il ne faut pas te décourager, n'est-ce pas? Peu importe que tu sois faible; après m'avoir tout remis entre les mains, pourquoi aurais-tu peur de ta faiblesse? Tout ce qui te reste à faire, c'est de m'aimer; pour le reste, je m'en charge. En effet, que savent faire les petits enfants? Aimer, voilà leur unique occupation.

 

Note du Père Boucher:

 

En février 1946, répondant à trois questions que je lui avais posées par écrit comme aux autres novices, au sujet de l'observance de la Règle, du travail et de sa vocation, le Frère Marcel a donné par écrit les réponses suivantes:

1) Mon Père, comme Thérèse de l'Enfant-Jésus me l'a fait connaître, Jésus a choisi pour moi la Règle et les Constitutions de la C.ss.R. comme étant proportionnées à mes forces...Je ne trouve donc rien de très difficile.

2) Pour ce qui est du travail, je trouve tout difficile, mais Jésus m'a dit:  Accepte par obéissance tous les travaux qui te sont confiés par les supérieurs. Et après les avoir acceptés, laisse-moi tout faire à ta place. Il te suffit de les accepter.

3) Ma vocation, mon Père, c'est à vous d'en juger; je ne m'en occupe pas. C'est tout ce que j'ai à répondre. Votre humble enfant: Marcel.

Ecrit le 30 mars 1947.

Un autre jour, je ne me rappelle pas quand, j'eus le songe que voici.

Alors que je me trouvais dans ma chambre, j'entendis des voix qui criaient:  Un oiseau qui apporte une lettre, un oiseau qui apporte une lettre.  Ne sachant pas du tout quel était cet oiseau qui apportait une lettre, je sortis de ma chambre pour aller voir. J'aperçus alors un oiseau, c'était probablement un pigeon, et je me mis à le suivre, pour l'observer de près. Dans son bec, il semblait porter une branche. J'entendis de nouveau les gens se demander entre eux:  Est-ce que les Français n'auraient plus d'avions, pour devoir se servir d'un oiseau pour porter les lettres?  Mais personne ne répondit à cette question. L'oiseau continuait à voler lentement, regardant en bas, comme pour y chercher un endroit où il pourrait se poser. Ensuite, il vola un peu plus haut, car j'entendis des voix qui disaient:  Tuons-le . Il continua à voler tout droit, mais un instant après, il tourna la tête vers l'endroit où je me trouvais et vint se poser sur le toit de la maison.

Je m'approchai de lui pour voir. Me voyant approcher, l'oiseau se mit à voler très bas, comme s'il voulait m'inviter à le suivre. Arrivé à un coin du mur où il n'y avait absolument personne, je vis aussitôt tomber une lettre qui ne portait ni adresse ni estampille. Levant alors les yeux, je ne vis plus l'oiseau nulle part; j'entendais seulement une voix qui disait:  Remettez cette lettre aux Français.  Mais dès que je fus arrivé à l'endroit où était tombée la lettre, j'aperçus quelqu'un qui se tenait caché près de là et qui accourait comme pour s'emparer de cette lettre. Cependant, j'ai pu la saisir avant lui. Alors cet homme s'élança à ma poursuite, pour m'enlever la lettre; mais moi, je la tenais levée au bout de mon bras en disant:  Allons, cette lettre appartient aux Français.  Ensuite, mon Père, je vous l'ai remise...

Voilà tout ce que j 'ai rêvé.

Ecrit le 31 mars 1946:

Marcel: O Mère, je pense continuellement aux âmes des enfants. Impossible pour moi de chasser cette pensée. A mon avis, si mon Père du Ciel révélait au monde jusqu'à quel point lui est agréable une âme d'enfant, il est probable que le monde reconnaîtrait cet enfant comme roi de l'univers. S'il n'y avait pas les enfants dans le monde pour réjouir le regard de notre vrai Père du Ciel, il est certain qu'Il ne voudrait plus abaisser son regard sur la terre.

O ma Mère, Marie, je pense toujours beaucoup aux enfants. Ils sont comme des livres toujours ouverts, où tous les hommes peuvent apprendre la conduite à tenir à l'égard de leur vrai Père du Ciel.

O Mère, comment se fait-il que je comprenne ces choses? En vérité, c'est là l'oeuvre de ma soeur la petite Thérèse.

O Marie, ma mission à moi, c'est d'être l'apôtre des âmes, et apôtre particulier des enfants. Si la chose était possible, je désirerais sortir de cette chambre pour aller prêcher aux enfants; mais ma modeste condition de Frère dans la Congrégation du Très Saint Rédempteur ne me permet pas de remplir immédiatement cette mission. Ce n'est que plus tard...

Ecrit le 5 avril 1946:

Marcel: Petit Jésus, à quoi bon t'aimer?

Jésus: Marcel, voilà une question bien maladroite. Désormais, je ne veux plus que tu me poses une pareille question, n'est-ce pas? C'est à moi seul qu'il est permis de te poser cette question. A quoi bon t'aimer, Marcel? Cela ne me donne absolument rien. C'est par pur Amour que je dois t'aimer...

Ecrit le 6 avril 1946:

Jésus: Marcel, ton apostolat doit s'exercer auprès des enfants. Je veux que tu attires à moi les enfants. Je les aime beaucoup. Quand ils jouent au ballon, qu'ils font des concours de natation ou se livrent à n'importe quel jeu enfantin, je suis présent au milieu d'eux...Marcel, tout me plaît chez les enfants: une parole, un sourire, même une larme qu'ils répandent dans un moment de tristesse, tout cela me fait plaisir...

Marcel, l'Amour miséricordieux a réservé aux enfants une part magnifique.

Ecrit le 13 avril 1946:

Marcel: Maintenant, petit Jésus, permets que je te pose une question. Pourquoi, dans l'Evangile, profères-tu des menaces si terribles contre ceux qui scandalisent les enfants?

Jésus: Petit frère, tu ne comprends pas pourquoi il en est ainsi? Je vais te l'expliquer, n'est-ce pas? La seule différence qu'il y a entre l'âme des enfants et les anges du ciel, c'est que l'âme des enfants est unie à un corps, et que par conséquent elle a des défauts naturels. Mais, malgré cela, l'âme des enfants est pure comme les anges du ciel. De là que les enfants possèdent toujours en eux la Trinité, et goûtent continuellement les joies naturelles que leur prodigue la même Trinité...

Pas besoin de m'étendre longuement sur ce sujet; je me contente de dire que l'âme des enfants est un temple parfaitement pur où habite la Sainte Trinité. C'est pourquoi, quiconque scandalise l'un de ces petits, fait lui-même signe au démon, l'invitant à venir plus tard avec le péché pour souiller l'âme de cet enfant. Celui qui agit de la sorte, enlève à la Trinité un temple magnifique; il enlève aux saints une demeure où ils pouvaient louer la Trinité; il expose l'âme de cet enfant à perdre son innocence.

Ecrit le 18 avril 1946:

Marcel: A propos, petit Jésus, tu as dit tout à l'heure que ma volonté était déjà en toi. Ainsi donc, désormais, je ne veux plus souffrir. Qu'est-ce que tu réponds à cela?

Jésus: Bien. Ne pas vouloir souffrir, c'est très facile, mais malheureusement, ta volonté ne t'appartient plus; le seul droit qui te reste c'est de te servir de ma volonté, comme j'ai moi-même le droit de me servir de la tienne. Tu dis ne plus vouloir souffrir; en parlant ainsi, tu te sers déjà de ma volonté, puisque je ne veux jamais te voir souffrir. Mais, d'autre part, étant donné que tu veux me prouver ton amour, alors il faut bien que tu souffres...Oh! petit frère, impossible pour toi d'échapper à l'Amour. C'est pour cela que je t'ai dit auparavant:  C'est uniquement par amour que je dois permettre que tu endures la souffrance. 

Puisque l'Amour s'est emparé de toi et qu'il t'a déjà enveloppé, il ne te reste plus maintenant qu'à laisser à l'Amour toute liberté dans ses relations avec toi. Je ne fais plus qu'un avec toi, Marcel, comme tu ne fais plus qu'un avec moi, Jésus; et nous reposons ensemble dans les bras de Marie...

 

 

Bulletin N°7: Le Saint Père.

L'éditorial de Monseigneur Vincent Tran Ngoc Thu nous a présenté la vocation particulière de la France fille aînée de l'Eglise et nous a rappelé la grande amitié de Jean-Paul Il pour la France missionnaire... qui a évangélisé, jusqu'aux extrémités de la terre!

Le Cardinal Pacelli, (qui deviendra Pie XII), nous permet de lire dans la mémoire des papes, cette même reconnaissance de la vocation unique de la France.

En 1937, alors qu'il préside comme secrétaire d'état le Congrès Eucharistique de Lisieux, il confie:

Alors que je célébrais au nom du Souverain Pontife l'inauguration de la Basilique érigée en l'honneur de Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, une inexprimable émotion m'envahissait le coeur, d'une suavité si pénétrante que je ne voyais pas sans un mélancolique regret approcher le moment de m'éloigner de Lisieux, où je venais de vivre ces heures inoubliables et vraiment célestes... et à Paris, il ajoute: mais, à me trouver aujourd'hui en cette capitale de la grande nation, au coeur même de cette patrie... mon émotion redouble encore... Comment dire, mes Frères, tout ce qu'évoque en mon âme comme dans l'âme de tout catholique, je dirais même dans toute âme droite et dans tout esprit cultivé, le seul nom de Notre-Dame de Paris! car ici c'est l'âme même de la France, l'âme de la fille aînée de l'Eglise, qui parle à mon âme... Ame de la France d'aujourd'hui... Ame de la France de jadis dont la voix remonte d'un passé quatorze fois séculaire... Voix de Clovis et de Clotilde, voix de Charlemagne, voix de Saint Louis surtout. Leurs souvenirs, leurs noms...en même temps qu'ils proclament la vaillance et la vertu de vos aïeux, jalonnent comme une route triomphale l'histoire d'une France qui avance en dépit de tout, d'une France qui ne meurt pas!...

 Quand je pense au passé, à la mission, aux devoirs présents de la France, au rôle que la France peut, qu'elle doit jouer pour l'avenir, en un mot à sa vocation... Alors comme je crierais à tous les fils et les filles de France: Soyez fidèles à votre traditionnelle vocation!... 

Lettre enfantine adressée au Pape Pie XII,

par une petite âme toute donnée à Jésus.

Monastère des Rédemptoristes, Thai-hà-Ap,(Hanoi), le 2 mars 1947.

Mon cher Pie XII,

A l'occasion du prochain départ pour Rome de l'un de nos pères qui va assister au Chapitre général de notre Congrégation, permettez-moi de vous écrire pour vous exprimer mon amour filial.

Très Saint-Père, je suis certain que vous aurez envie de rire en lisant ce que je vais écrire dans cette lettre; aussi je me permets de vous conseiller de la lire à une heure de récréation, afin qu'elle vous aide à mieux vous détendre. Je ne veux pas que votre secrétaire lise cette lettre, car elle est sans aucune importance, et s'il la lisait, il ne comprendrait certainement pas ce que je dis, car je vous exprime les sentiments de mon coeur.

Très Saint-Père, avant de vous écrire, j'hésitais beaucoup, craignant de ne pas pouvoir écrire de façon à me faire comprendre; mais, j'ai demandé au petit Jésus de m'aider, et aussitôt après, je savais naturellement dans mon coeur ce que je devais vous écrire. Comme un enfant qui parle à son père, je vous dis donc: Très Saint-Père, je vous aime beaucoup; et parce que je vous aime, je ne crains plus de vous donner les marques de cet amour. Bien que cette lettre soit la première que je vous écrive, j'ose cependant vous exprimer les sentiments de mon coeur, car je sais que je suis votre enfant et que vous êtes celui que Jésus a placé sur cette terre pour être mon Père à sa place. Très Saint-Père, je vous parlerai donc comme je parle à Jésus.

Permettez que je vous exprime maintenant le désir de mon coeur.

Très Saint-Père, je désire beaucoup être votre petit Secrétaire. C'est là une chose à laquelle je n'avais jamais pensé, avant que je demande au petit Jésus de m'aider à vous écrire Auparavant, je n'aimais qu'à me dire le petit Secrétaire de Jésus; mais depuis une semaine, c'est-à-dire depuis que j'ai demandé au petit Jésus de m'aider à vous écrire, je n'aime plus à me désigner ainsi; mon désir est que vous m'acceptiez pour être votre petit Secrétaire. En pensant que le petit Jésus a déjà plusieurs secrétaires, je n'aime plus à être son secrétaire; d'autant plus que maintenant, vue que Jésus et moi ne faisons plus qu'un, il n'est plus nécessaire que je sois son Secrétaire.

Très Saint-Père, est-ce que vous consentez à m'accepter pour votre petit Secrétaire? Vous y consentez, n'est-ce pas? Si j'obtiens d'être votre petit Secrétaire, quand je parlerai au petit Jésus, je me désignerai pour rire comme étant "petit Secrétaire de Pie". Et je pense que pour être votre petit Secrétaire, je n'ai pas besoin d'être bien habile; il suffirait que je vous aide dans les affaires suivantes: quand je penserai à vous, Très Saint-Père, je vous offrirai à Jésus; je lui offrirai aussi toutes vos volontés et vos décisions; je lui offrirai également vos travaux présents et futurs, entrepris pour Jésus, et ce sera suffisant. Très Saint-Père, acceptez-moi comme petit Secrétaire, n'est-ce pas?

Mon cher Saint-Père, si vous m'acceptez comme petit Secrétaire, vous en retirerez certainement beaucoup d'avantages, car mes relations avec Jésus sont très faciles. L'autre jour, par exemple, cette communauté n'avait plus de riz que pour quelques jours, et elle manquait complètement de viande... Le Père Recteur m'a dit de rappeler la chose au petit Jésus. J'ai été exaucé aussitôt. La communauté n'a pas souffert de la faim un seul repas; elle avait le suffisant. Il y a encore beaucoup d'autres faits qui prouvent que le petit Jésus ne peut me refuser aucune faveur.

De plus, si, m'ayant accepté pour votre petit Secrétaire, vous montez au ciel avant moi, vous pourrez continuer à me confier les travaux que vous voulez faire ou que vous avez décidé de faire, afin que moi-même je les confie au petit Jésus. Mais si je monte au ciel avant vous, je devrai me tenir sans cesse à vos côtés pour vous aider, car je serai votre petit Secrétaire. N'est-ce pas, Très Saint-Père que vous y trouverez de grands avantages?... Vous y consentez, n'est-ce pas?

Très Saint-Père, je vous aime beaucoup. Je veux monter au ciel avant vous pour vous aider. En restant sur cette terre, je ne puis vous aider que par mes prières. Mais de toute façon je vous aime toujours, parce que vous m'êtes très cher.

Ah! Très Saint-Père, je ne sais plus quoi vous dire de plus; je ne sais même pas quelle faveur vous demander. Cela suffit, je vous demande votre bénédiction.

Votre petit enfant, J.M.T. Marcel, C.ss.R.

Bulletin N°8: Vàn et la vocation religieuse

Vàn, religieux collaborateur des prêtres.

Evoquant ses séjours à la cure de Huù-Bang, entre 1935 et 1944, le Frère Marcel écrit dans son Autobiographie ():

 Aujourd'hui, je ne suis pas prêtre, et je ne le serai jamais; cependant il n'est pas certain que parmi les prêtres en titre il y en ait beaucoup qui comprennent bien leur dignité comme je la comprends moi-même. Et pour cette raison Dieu devait m'attribuer le rôle de collaborateur des prêtres plutôt que la dignité sacerdotale. Je parle ici suivant la pensée de la petite Thérèse. En réalité, Dieu m'a aussi fait comprendre que le rôle d'aider les prêtres est un rôle très nécessaire. Car une fois que le prêtre est perdu, le monde ne peut que tomber dans un état infiniment pitoyable. Par conséquent, tous les jours je priais spécialement pour mon curé. J'offrais à Dieu tous mes travaux, toutes les insultes que je devais endurer de sa part, afin que Dieu lui accorde la grâce de la conversion. D'un autre côté, je suppliais instamment la Sainte Vierge de tout faire pour m'aider à m'enfuir de ce lieu suspect. Ayant eu beaucoup à souffrir de la part du curé, bien souvent, sous l'effet du mécontentement j'étais tenté de céder à la colère, et de révéler tout le mal que j'avais constaté chez lui de mes propres yeux. Mais à ces moments difficiles, c'est comme si ma Mère Marie avait été là pour me consoler et me faire oublier. Je sentais en mon âme une grâce de force qui éteignait complètement le feu de la colère. Et je me disais: Cela suffit, à quoi bon parler? Il faut tout endurer afin que sa dignité de prêtre soit sauvegardée et produise du fruit dans les âmes. Si à cause d'une parole son autorité était méprisée, mieux vaudrait demander à Dieu d'anéantir le monde. Et alors comment pourrais-je encore désirer aller à la recherche des âmes pour les ramener à Dieu ? 

 

Prions avec le Frère Marcel

 

Bulletin N°5

Petit Jésus, écoute, je vais te chanter quelque chose. Puisque tu ne me donnes aucun baiser, je vais chanter, n'est-ce pas ? Et ma soeur Thérèse va chanter aussi avec moi .Ce sera très beau, tu verras, et tu ne pourras t'empêcher de rire .

O Jésus, je t'aime, je t'aime .

Mon Jésus, je t'aime, je t'aime .

Jésus, je t'aime de tout mon coeur .

Jésus, je t'aime de tout mon esprit .

Jésus, prête l'oreille à mon chant :

Je t'aime, je t'aime, je t'aime .

O Jésus, ris bien fort, n'est-ce pas ?

Je suis fou d'amour pour toi, Jésus .

Oui, Jésus, mon coeur est ivre d'amour,

Il voudrait crier sans fin : je t'aime, je t'aime ;

Jésus, écoute-moi te redire :

Je veux t'aimer, t'aimer toujours .

Jésus, même si tu me donnais mille vies,

Je ne cesserais de crier : je t'aime, je t'aime .

...Mais qui est celui que j'aime, pour l'aimer à ce point ?

C'est quelqu'un vraiment digne d'être aimé .

Allons, Jésus, donne-moi un baiser .

Je ne cesse de dire : Jésus, je t'aime,

Il faut que tu me donnes un baiser .

J'ai terminé mon chant...ivre d'amour pour toi, Jésus .

O Jésus, amour de mon coeur,

Ici finit mon chant, mais non pas mon amour .

Bulletin N°6

 O Marie, ma Mère, je voudrais te parler, mais je ne sais pas du tout comment m'exprimer. Tout ce que je peux te dire, en employant une nouvelle manière de parler, c'est que je change la souffrance en croix.

Oui, ô Mère, les souffrances sont des croix, et les croix sont des roses. Depuis quelque temps, il me semble que la croix ne me quitte pas un seul instant; elle est toujours là à mes côtés. Que je regarde dans n'importe quelle direction, je ne vois que des croix, rien que des croix...

 O Marie, ces croix, je les accepte toutes. Je sais bien que je possède un talent particulier et qui fait grandement plaisir à Jésus; il consiste à recevoir toutes les croix, et une fois que je les tiens dans ma main, à les lancer en l'air où elles se changent en roses... Je sais aussi que depuis toujours, Jésus aime beaucoup les fleurs; et quand il voit que j'ai le talent de changer les croix en roses, il semble qu'il oublie même mes peines et mes fatigues pour m'envoyer continuellement des croix...

 O Jésus, cela te console et te réjouit beaucoup, n'est-ce pas? Eh bien c'est de tout coeur que je me sacrifie pour te procurer ce plaisir. 

Bulletin N°7

Thérèse: O mon cher petit frère, je te fais cette recommandation. Si tu aimes la France, chaque fois que tu pries, quand l'horloge sonne le quart, ajoute avec moi cette prière:  O Jésus, nous consacrons la France à ton amour . Demande à ton directeur de te la faire réciter en français, c'est plus beau.

Vàn: Ma soeur Thérèse, pourquoi donc as-tu tant pleuré hier?

Thérèse: Mon cher petit frère,.... Je suis une petite fleur qui s'est épanouie au pays de France. Or quand je vois mon pays plongé dans le malheur, comment pourrai-je feindre de ne pas m'en occuper? Oui, je pleure sur la France, car Jésus l'aime encore, et que sans la France tu ne m'aurais pas pour être ta soeur aînée... Prie pour la France, petit frère, prie pour qu'elle devienne comme la mère du royaume de l'amour dans le monde entier...Voici encore une recommandation. La prière que je t'ai conseillé de réciter avec moi, demande à ton directeur de la faire réciter aussi aux Carmélites, dans tous les endroits où elles ont des monastères, et par les prêtres...

Vàn: O mon bien-aimé Jésus. Je t'aime beaucoup. Tu me demandes de prier pour la France. O Jésus, si mon directeur le veut bien, tous les jours, après chaque communion à ton corps et à ton sang, après chaque communion spirituelle et après chaque oraison, je réciterai la prière que voici :  Jésus, roi d'amour, daigne unir solidement la France et le Vietnam par le lien d'une charité qui dure toujours. O amour de Jésus, fais venir ton règne en France et dans le modeste pays du Vietnam .

Jésus: Petit enfant de mon amour, écoute, je vais te dicter une prière, et cette prière, je veux que les Français me la récitent...  Seigneur Jésus, aie compassion de la France, daigne l'étreindre dans ton amour et lui en montrer toute la tendresse. Fais que remplie d'amour pour toi, elle contribue à te faire aimer de toutes les nations de la terre. O amour de Jésus, nous prenons ici l'engagement de te rester à jamais fidèles et de travailler d'un coeur ardent à répandre ton règne dans tout l'univers. Amen.

Jésus: Oh Marcel, veux-tu m'appeler en français? Laisse-moi t'apprendre une formule très facile que ta soeur Thérèse me répète d'ordinaire tout le long du jour. Ecris:

 O petit Jésus, viens avec moi.

O petit Jésus, viens avec la France.

O petit Jésus, viens avec les prêtres de France

Comprends-tu cela, Marcel ? Tu réciteras ces invocations avec ta soeur Thérèse. Elle y est déjà très habituée. Et moi, en entendant cet appel, je m'empresserai de venir à toi sans tarder, assuré d'y rencontrer en même temps ta soeur Thérèse.

Bulletin N°8

O ma Mère, Marie, je pense ce soir à ma mère selon la chair, mère incomparable, pour qui j'éprouve en mon coeur une profonde reconnaissance. Je l'aime, cette mère, et j'ai le sentiment qu'elle endure en ce moment de grandes souffrances. Cette sainte maman m'a aimé d'une affection vraiment sainte, et plus grande était sa sainteté, plus ardent aussi était son amour pour moi.

En ce moment, je me sens pris de pitié pour elle, ô Mère!

Depuis mon enfance, elle s'est occupée de tout pour moi. Maintenant qu'elle est avancée en âge et aurait besoin que je prenne soin d'elle, elle m'a offert au Seigneur. Ma petite soeur Tê est sur le point de partir pour le Canada. Ma mère le sait déjà, et elle s'est fait un honneur de prononcer son "Fiat" comme tu l'as fait toi-même autrefois, en réponse à la parole de l'ange.

Marie, ô Mère très sainte, mes parents avancent de plus en plus en âge, leurs forces diminuent peu à peu, leur vie sur la terre est devenue comme une feuille à moitié détachée, dans la solitude et la stérilité.

O Mère, mon coeur se resserre, face à la situation de mon père et de ma mère déjà âgés et qui doivent vivre seuls dans la misère et l'indigence. Je ne sais comment mesurer leur douleur dans le malheur, quand je vois leurs cheveux blancs, leurs mâchoires édentées, tandis que leurs yeux ne peuvent plus s'arrêter que sur une maison abandonnée, aux fenêtres brisées et aux murs inclinés, alors que tous leurs enfants devenus grands les ont quittés pour suivre la route tracée par Dieu!...

O Mère! En ce moment je ne puis qu'appuyer ma tête contre ton coeur, t'offrir mes larmes brûlantes et te dire ces pauvres paroles:

Si je t'appartiens, ô Mère, c'est grâce aux sacrifices énormes que mes parents se sont imposés. Je te demande donc de tenir toi-même ma place auprès de mes parents. Eloigné d'eux comme je le suis, je ne peux pas comprendre la situation de ma famille; permets cependant que je te la confie, jette sur elle ton doux regard spirituel et protège-la. La vie est un moment qui passe. J'espère que nous aurons bientôt la joie d'être unis à toi dans le séjour du bonheur, avec la famille qui a été pour nous le doux nid vers lequel nous sommes toujours fortement attirés.

 

Méditons avec le Frère Marcel

 

L'année 1996 s'achève.

Les quatre bulletins diffusés en cette occasion nous auront permis de suivre Vàn dans sa rencontre déterminante avec Thérèse, au pied des collines de Quâng-Uyên, en octobre 1942.

Evoquant son enfance heureuse à Ngiam-Giâo, il écrit:

 Ce n'est que plus tard, quand j'aurai fait l'expérience de la misère, quand mon âme aura passé par le creuset de la souffrance, que cette rose de l'Amour se montrera à moi, qu'elle viendra à ma rencontre, me fera connaître ma destinée et m'apprendra que le sacrifice est le témoignage évident du véritable amour; ce qui veut dire que si on aime Dieu de tout son coeur, il faut se conformer avec joie à sa volonté. Mais cette volonté de Dieu est très mystérieuse; elle n'apporte pas que des joies, et par contre, elle n'est pas non plus toujours porteuse de tristesse. C'est au prix de grandes souffrances que Thérèse est devenue une sainte. 

A Quang-Uyên, en Octobre 1942 .

 Pour moi, c'est Thérèse qui sera ma soeur . 

Bulletin N°5

 Dès que j'eus prononcé ces paroles, mon âme fut envahie par un tel courant de bonheur que j'en demeurai stupéfait et incapable de réagir par aucune pensée personnelle . J'étais entièrement sous l'emprise d'une force surnaturelle qui inondait mon âme d'une joie indicible. Et cette force me poussait à me rendre au pied de la montagne...

 Poussé par la force spirituelle qui me guidait, je courus au pied de la montagne, l'âme débordante d'une joie que je ne pouvais exprimer que par mes chants les plus variés et mille sauts enfantins...Je sautais de rocher en rocher, de pelouse en pelouse, criant mon bonheur en lançant dans l'air tous les chants que je connaissais par coeur en vietnamien, en thô, en français et en chinois. Oh! comment exprimer en paroles humaines tout le bonheur que je goûtais alors ?...

 Haletant, comme à bout de souffle, je m'affaissai sur un rocher, les deux bras appuyés en arrière pour me dilater la poitrine et respirer plus à l'aise, les deux jambes allongées n'ayant plus la force de se mouvoir . Malgré cela, de temps en temps, je faisais encore un effort de la gorge pour chanter quelques mots à pleine voix ...

 Je restai assis, contemplant en silence le spectacle de la nature qui se réveillait sous les doux rayons du soleil montant à l'horizon . Je revenais toujours à la même question: Pourquoi suis-je si joyeux et comme quelqu'un qui a perdu l'esprit ?

 Soudain, je sursautai; j'entendais une voix qui m'appelait par mon nom :

 Vàn, Vàn, mon cher petit frère ! 

 Quelqu'un qui m'appelle ? Je me rappelle que la voix semblait venir de ma droite. Intrigué, je riais intérieurement, convaincu qu'il y avait quelqu'un...j'entendais clairement que c'était une voix de femme.

 J'entendis de nouveau la même voix, douce comme la brise qui passe et qui m'appelait:

 Vàn ! mon cher petit frère ! .

 J'étais abasourdi et presque troublé, mais je restai calme comme à l'ordinaire et devinai aussitôt que cette voix qui m'appelait était une voix surnaturelle . Aussi je me hâtai de pousser ce cri de joie : Oh ! C'est ma soeur sainte Thérèse !...

La réponse ne se fit pas attendre:

 Oui, c'est bien ta soeur Thérèse qui est ici.

 J'avais à peine entendu ta voix que je compris à fond ton coeur candide et pur. Je viens ici pour répondre à tes paroles qui ont eu un écho jusque dans mon coeur. Petit frère ! Tu seras désormais personnellement mon petit frère, tout comme tu m'as choisie toi-même pour être personnellement ta grande soeur.

 A partir de ce jour, nos deux âmes ne seront plus séparées par aucun obstacle, comme elles l'étaient autrefois ; elles sont déjà unifiées dans le seul Amour de Dieu . Désormais je te communiquerai toutes mes belles pensées sur l'amour, ce qui est intervenu dans ma vie et m'a transformée en l'Amour infini de Dieu.

 Sais-tu pourquoi nous nous rencontrons aujourd'hui ? C'est Dieu lui-même qui nous a ménagé cette rencontre . Il veut que les leçons d'amour qu'Il m'a enseignées dans le secret de mon âme se perpétuent en ce monde ; c'est pourquoi il a daigné te choisir comme un petit secrétaire pour exécuter le travail qu'il désire te confier . Mais avant ce choix, il a voulu la présente rencontre, pour te faire connaître par moi ta belle mission . Vàn, mon petit frère, de même que tu me considères comme une sainte selon ton désir, de même aussi tu es vraiment pour moi une âme entièrement selon mon désir .

 Dieu m'a donné de te connaître depuis très longtemps, c'est-à-dire avant même que tu existes . Ta vie est apparue dans le regard mystérieux de la Divinité, et moi, je t'ai vu dans la lumière provenant de ce mystérieux regard . Je t'ai vu, et Dieu m'a confié le soin de veiller sur toi comme l'Ange gardien de ta vie . J'étais avec toi, te suivant pas à pas, comme une mère à côté de son enfant . Grande était ma joie, quand je voyais dans ton âme des points de parfaite ressemblance avec la mienne, et une conception de l'Amour ne différent en rien de la mienne . C'est là un effet de l'Amour divin qui, dans sa sagesse en a disposé ainsi ...

 Tu n'as donc plus à te plaindre, puisque Thérèse a toujours été ta Thérèse, et que toi, Vàn, tu as été également le petit frère de Thérèse, depuis le moment où nous existons tous les deux dans la pensée de Dieu . L'ardeur de tes désirs jusqu'à ce jour a amené le bon Dieu à te conduire à la vérité . Il éprouve une grande joie en voyant que tu ne cherches qu'à le suivre et à connaître les moyens de lui plaire . Essaie de concevoir s'il peut y avoir pour un père, une joie comparable à celle de voir son petit enfant le suivre partout, lui offrir tout ce qu'il peut ramasser, et enfin lui laisser toute liberté de le porter dans ses bras et de le caresser selon son bon plaisir . Oui, essaie d'imaginer de quel amour cet enfant sera aimé de son père...

 Ton âme est cet enfant que je viens de décrire . Tu as couru à la suite de Jésus, ne cherchant qu'à lui faire plaisir . C'est en cela précisément que consiste la sainteté.

 Cette sainteté, tu l'as pratiquée jusqu'à ce jour, mais sans en comprendre bien la vraie nature . Grâce à la sincérité de ton coeur, cette erreur n'était pas volontaire chez toi ; elle provenait uniquement d'un manque de direction . Aussi, loin de te nuire, elle a été pour toi une occasion de progrès dans la sainteté, puisque tu en as beaucoup souffert . Désormais tu n'auras certainement plus à craindre cette conception erronée de la sainteté, car une fois transformé par l'Amour divin, tu verras clairement que la sainteté consiste uniquement à ne faire qu'un avec la volonté de Dieu . Mais cette unité est l'oeuvre de l'Amour divin ; quant à toi, tu n'as qu'à aimer et à t'abandonner entièrement à l'action de cet Amour, et tu seras parfait . 

Bulletin N°6

 Plus tard, j'aurai encore beaucoup d'occasions de revenir sur ce sujet; mais aujourd'hui, je veux te faire comprendre un peu l'Amour du Père.

Allons, Vàn, as-tu jamais entendu dire que Dieu est ton Père?

 -Jamais, ma soeur. Quand j'étais petit, j'ai bien entendu ma mère m'enseigner beaucoup de choses sur Dieu et sur la perfection; mais durant mon séjour à Hùu-Bang, on a employé mille tourments cruels pour me dépouiller de toutes mes belles pensées...

 Je me mis à pleurer.

 -Vàn, mon cher petit frère, ne pleure pas trop vite. Tu dis que des êtres inhumains, au moyen de mille tourments t'ont dépouillé de tes belles pensées. En réalité il n'en est rien, car la grâce de Dieu a des effets indestructibles comme Dieu lui-même. Par conséquent, même les damnés qui brûlent en enfer sont incapables de détruire les effets de l'Amour que Dieu a déposé dans leur coeur, et c'est là leur plus grand tourment. Donc, petit frère, rappelle-toi bien pour voir si ces jours-là, tu as jamais perdu confiance en Dieu. As-tu jamais osé penser que Dieu était digne de haine, et qu'il méritait d'être expulsé de ton coeur? Ou pour parler plus clairement: as-tu jamais approuvé comme bons les actes de ces êtres inhumains?

 - Non. Jamais je ne les ai approuvés d'une façon si insensée. Jamais non plus je n'ai perdu confiance en Dieu, car si j'avais abandonné Dieu, qui donc aurais-je pu suivre? Il m'était aussi on ne peut plus pénible de constater que dans mes rapports avec Dieu, il y avait comme un voile qui me séparait de lui.

 - Ta réponse prouve à l'évidence que ton coeur a toujours été fidèle à Dieu, que tu as accompli parfaitement ton devoir d'enfant, ne cessant de considérer Dieu comme ton Père et ton divin Maître. Par conséquent, les cruautés de ces êtres inhumains à ton égard doivent être considérées comme n'étant qu'un voile ou une couche de poussière recouvrant tes belles pensées dont il leur était absolument impossible de te dépouiller. Et grâce à ta sincérité, cette couche de poussière a déjà été complètement enlevée.

Maintenant, petit frère, je vais te parler du coeur du Père.

 Ecoute-moi bien. Dieu est notre Père. Que te disent ces paroles? Naturellement elles font naître en ton âme des sentiments de profonde affection, n'est-ce pas?

- Oui, ma soeur, c'est exact. Je préfère appeler Dieu Père plutôt que Seigneur.

- Bien qu'il soit toujours Seigneur, il agit avec nous uniquement comme un Père avec son enfant. Quant à sa majesté divine, il ne la manifeste qu'avec les orgueilleux qui résistent à ses commandements; je veux dire que Dieu est forcé de montrer sa majesté envers ceux-là seulement qui n'aiment pas ses sentiments de père.

Petit frère, écoute, je continue.

Donc Dieu est Père, et ce Père est Amour.

 Il est d'une beauté et d'une bienveillance infinies. Il n'y a que l'infini qui soit capable de rendre le sens du nom de Père donné au Dieu Trinité. Rien qu'à contempler les créatures matérielles de ce monde, rien qu'à regarder autour de toi et en toi, tu peux reconnaître combien Dieu est bon et combien il nous aime!

 Depuis le jour où nos premiers parents ont péché, Dieu a dû faire sentir sa colère et infliger un châtiment à l'humanité. Et depuis lors, la crainte qui a envahi le pauvre coeur humain, l'a fait trembler et lui a enlevé même la pensée d'un Dieu, Père infiniment bon. Et pourtant même alors, Dieu agissait envers l'humanité ingrate avec des sentiments de Père. Car s'il avait, à cet instant, fait sentir sa majesté divine, comment l'humanité aurait-elle pu subsister jusqu'à maintenant? Vois-tu, petit frère?

 A peine Dieu a-t-il annoncé le châtiment à nos premiers parents, qu'il leur promet aussitôt une source d'espérance: Il enverra son Fils se faire homme sur terre pour rendre à l'humanité la grâce perdue par nos premiers parents. Après une telle marque d'amour, que pouvait-il faire de plus? Et pourtant même à partir de ce jour, personne n'osera encore donner à Dieu le nom de Père. Ce n'est qu'après l'Incarnation du Verbe que Jésus, Sauveur du monde a donné à Dieu le nom de Père, et a enseigné au monde à utiliser ce nom pour prier le Dieu très-haut.

 Vàn, mon cher petit frère, tu le vois, Dieu est notre Père. Mais parce que l'homme, pauvre pécheur dominé par la crainte, n'osait plus donner à Dieu le nom de Père, Dieu lui-même s'est abaissé en se faisant homme, pour rappeler à ses frères humains l'existence d'une source de grâce que l'Amour du Père avait fait jaillir et qui continuerait à jaillir sans fin. Ensuite, de sa propre bouche, il nous a enseigné à lui donner le nom de Père.

 Oui, Dieu est notre Père, notre vrai Père, Père bien réel, et non père adoptif tel que le décrivent beaucoup d'orateurs célèbres qui affirment: "Il n'y a que Jésus qui soit le vrai Fils de Dieu; quant à nous, nous ne sommes que des fils adoptifs." Petit frère, n'ajoute jamais foi aux comparaisons qu'ils mettent en avant pour prouver leur assertion, car, bien que leurs dires soient raisonnables, ils ne s'appuient que sur la raison humaine, sans remonter jusqu'à la raison dernière qui est l'Amour de Dieu. Etre les enfants de Dieu, c'est là pour nous un bonheur incomparable. Nous avons raison d'en être fiers et de ne jamais céder à une crainte excessive.

Dieu est notre Père bien-aimé!

 O petit frère chéri! Je voudrais te rappeler sans cesse ce nom si doux. Je te demande de t'exercer désormais à garder le souvenir habituel de ce nom d'Amour, et de ne jamais prendre un air soucieux ou une attitude craintive en présence de cet Amour infiniment paternel. Oui, rappelle-toi toujours que Dieu est Père, qu'il t'a comblé de grâces, qu'il n'a jamais refusé de répondre à tes moindres désirs, que bien souvent même il t'a exaucé au-delà de tes désirs. Vraiment, tout proclame la bonté et la puissance de Dieu; et cette puissance, il n'en fait usage que pour manifester la bonté de son coeur envers les créatures.

 N'aie jamais peur de Dieu. Il est le Père tout aimant, Il ne sait qu'aimer et désirer être aimé en retour. Il a soif de nos pauvres petits coeurs sortis de ses propres mains créatrices, et où il a déposé une étincelle d'amour provenant du foyer même de son Amour. Et son seul désir est de recueillir ces étincelles d'amour et de les unir à son Amour infini, afin que notre amour subsiste à jamais dans le sien.

 Enfin, c'est encore la force d'attraction de l'Amour qui nous attirera dans l'éternelle patrie de l'Amour. Offre à Dieu ton tout petit coeur. Sois sincère avec lui en toute circonstance et en toutes tes attitudes. Lorsque tu éprouves de la joie, offre lui cette joie qui dilate ton coeur, et par là tu lui communiqueras ta joie. Peut-il y avoir bonheur comparable à celui de s'aimer l'un l'autre, et de se communiquer tout ce qu'on possède? Agir ainsi avec Dieu, c'est lui dire un merci qui lui plaît davantage que des milliers de cantiques émouvants. Si au contraire tu es envahi par la tristesse, dis-lui encore d'un coeur sincère:  O mon Dieu, je suis bien triste!  Et demande-lui de t'aider à accepter cette tristesse avec patience. Crois bien ceci: rien ne fait autant plaisir au bon Dieu que de voir sur cette terre un coeur qui l'aime, qui est sincère avec lui, à chaque pas, à chaque sourire, comme aussi dans les larmes et dans les petits plaisirs d'un instant.

 Maintenant petit frère, il y a peut-être encore une chose que tu redoutes; aie la patience de m'écouter pour t'y exercer, et tu en prendras l'habitude. Voici: quand tu parles au bon Dieu fais-le en toute sincérité, comme si tu parlais avec ceux qui t'entourent. Tu peux lui raconter tout ce que tu veux; lui parler du jeu de billes, de l'ascension d'une montagne, des taquineries de tes camarades; et s'il t'arrive de te mettre en colère contre quelqu'un, dis-le aussi au bon Dieu en toute sincérité. Dieu prend plaisir à écouter, bien plus, il a soif d'entendre ces petites histoires dont les gens sont trop avares avec lui. Ils peuvent sacrifier des heures à raconter des histoires amusantes à leurs amis, mais quand il s'agit du bon Dieu qui a soif d'entendre des histoires semblables, au point de pouvoir en verser des larmes, il ne se trouve personne pour lui en raconter. Désormais, petit frère, ne sois pas avare de tes histoires avec le bon Dieu. N'est-ce pas"?

 Thérèse riait.

-Mais, sainte soeur, Dieu connaît déjà absolument toutes ces choses; qu'est-il encore besoin de les lui raconter?

-C'est vrai, petit frère, Dieu connaît tout parfaitement. De toute éternité, tout est présent à ses yeux. De toute éternité aussi Dieu connaît absolument tout cela, sans que personne ait besoin de lui en parler. Cependant, pour  donner  l'amour et  recevoir  l'amour, il doit s'abaisser au niveau d'un homme comme toi; et il le fait comme s'il oubliait complètement qu'il est Dieu, et qu'il connaît toute chose, dans l'espoir d'entendre une parole intime jaillir de ton coeur. Dieu agit ainsi parce qu'il t'aime; il veut par là te combler de grâces précieuses, te communiquer les bons désirs et toutes les délices que l'on goûte dans son Amour.

As-tu compris, petit frère? Dieu est notre Père aimant. Dans le but de nous manifester son Amour et de recevoir l'amour que nous lui offrons, il a bien voulu s'abaisser lui-même jusqu'à nous. Il n'y a pour l'Amour aucune difficulté à s'abaisser ainsi. La seule difficulté devant laquelle Dieu semble impuissant, c'est de constater notre manque d'amour et de confiance en lui . Il se voit rejeté de façon tout à fait injuste, et pourtant, lui, ne nous rejette jamais.

Petit frère, pour consoler le bon Dieu, suis mon conseil: ne sois jamais avare dans les choses dont je viens de te parler. Sois toujours prêt à lui offrir ton coeur, tes pensées et tous tes actes; en les accueillant, ce sera pour lui comme accueillir un nouveau paradis où toute la Trinité trouve ses délices. Rappelle-toi ceci: bien qu'il soit Dieu, notre Père du ciel ne méprise jamais les petites choses. Il prend plaisir aux choses apparemment insignifiantes comme aux spectacles les plus grandioses, car tout cela est l'oeuvre merveilleuse de son Amour. En outre, pour pouvoir affirmer qu'il y a amour, il faut qu'il y ait unité; or l'unité entre deux amours exige d'un côté comme de l'autre, connaissance personnelle et compréhension mutuelle.

De son côté, Dieu, notre Père bien-aimé, se connaît personnellement et nous comprend à fond. Quant à nous, nous avons besoin de lui pour arriver à nous connaître nous-mêmes et à le comprendre. Par conséquent, si tu ne voulais pas collaborer avec lui dans l'oeuvre qui mène à l'unité, lui communiquant toutes tes intentions, tes paroles, tes actions et toutes tes démarches, jamais tu ne pourrais arriver à l'unité. Petit frère, essaye d'y penser, pour voir. Il n'y a aucune exagération dans mes paroles. Je t'aime, parce que tu es une âme qui fait partie de ma phalange d'Amour. Vu que tu es mon petit frère, mon seul désir est de te voir accomplir les oeuvres que l'Amour divin désire si ardemment de toi. Allons, petit frère, écoute-moi bien. Désormais, dans tes relations avec ton Père du ciel, ne manque pas de suivre mes conseils.

 Maintenant, il se fait tard, permets que j'interrompe ici notre conversation. Car c'est déjà l'heure du repas; Tam et Hiên t'attendent, et Tam commence à s'impatienter...Je te donne un baiser...Nous aurons encore beaucoup d'occasions de causer ensemble, et nous pourrons le faire n'importe où, sans craindre que personne ne le sache.

 Thérèse cessa de parler. J'étais comme quelqu'un qui sort d'un rêve, moitié inquiet, moitié heureux. Quand Thérèse me dit:  Je te donne un baiser , je sentis aussitôt comme une brise légère qui m'effleura le visage, et je fus envahi d'une joie telle que je perdis un instant connaissance. De cette joie suave, il me reste encore quelque chose aujourd'hui, mais je ne sais au juste à quoi la comparer....

 L'entretien de Thérèse avec moi avait duré des heures. Elle s'exprimait très bien, mais il y avait beaucoup de mots que je ne comprenais pas encore, de sorte que, sur ma demande, elle devait s'interrompre souvent, pour m'expliquer clairement le sens de chaque phrase. De plus, mon Père, vous avez pu constater que je suis passablement raisonneur. Sur bien des points, je pense que Thérèse aurait eu raison de se fâcher, car je ne cessais de raisonner bien fort. Mais comment aurait-elle pu se fâcher contre ce petit frère indocile, sachant très bien que son obstination se limitait au temps de la discussion; mais une fois qu'il avait compris, c'était fini, et il aurait été prêt à défendre le point en question même au prix de sa vie. Thérèse a parlé longtemps, mais je ne peux que résumer comme je l'ai fait tout ce qu'elle m'a dit. Et bien que cette dernière rédaction ne concorde peut-être pas avec les précédentes, il reste que les pensées exprimées sont les mêmes dans chacune. Si vous constatez des différences, c'est que, chaque fois que j'écris, je me rappelle tantôt telle phrase, tantôt telle autre phrase; et il arrive ainsi que, en me rappelant une phrase j'en oublie une autre. J'espère donc que vous porterez attention plus aux idées qu'aux paroles.

Bulletin N°7: Le Saint Père

 Une fois, Thérèse m'a parlé du Saint Père et m'a demandé de prier pour lui. Je lui répondis:

-Comment? Le Saint Père a donc lui aussi besoin de mes prières?

-Pourquoi pas? Il souffre beaucoup, petit frère. La Sainte Eglise est le corps mystique du Divin Rédempteur. Or le Saint Père tient la place de Jésus pour diriger l'Eglise entière sur cette terre; ou pour parler avec plus de précision, il est la présence de Jésus, il est Jésus présent. Que de souffrances endure aujourd'hui la Sainte Eglise! On peut les comparer à l'agonie que notre divin Sauveur a endurée autrefois sur la Croix. Oui, la Sainte Eglise souffre, et ses souffrances torturent cruellement le coeur de notre Père commun. Et vu qu'il reste un homme comme toi, il a besoin d'une force surnaturelle pour le soutenir au milieu de toutes ses peines. Prie beaucoup pour lui, afin qu'il ait le courage de supporter toutes les épreuves que lui infligent, dans leur cruauté, les suppôts de Satan. Le corps mystique du Christ est cruellement déchiré. Mais hélas! dans toute l'humanité, le Saint Père est actuellement celui qui souffre le plus, car il est Père. Oui, le Saint Père a besoin de sacrifices et de prières. Petit frère! Mon cher petit frère! Qui dit aimer Dieu, mais ne pense pas en même temps au Saint Père, n'a qu'un amour frivole qui manque encore de solidité. Pour remplir parfaitement ton devoir d'enfant aimé de Dieu, tu dois tous les jours, en union avec le Saint Père, offrir au divin Rédempteur toutes les souffrances de la Sainte Eglise. Quand tu dis: "Le Saint Père est victorieux" c'est comme si tu disais: "Le Christ est victorieux."

-Petit frère Vàn, veux-tu être l'ange consolateur du Saint Père?

-Certainement, ma soeur, je le veux de tout mon coeur.

-Dans ce cas, aie le courage de beaucoup prier chaque jour pour le Saint Père, et de faire pour lui de nombreux sacrifices.

Bulletin N°7: La France

 Une autre fois, Thérèse me demanda de prier pour la France et pour le Vietnam. J'eus aussitôt une forte réaction et je lui dis:

-Prier pour le Vietnam, passe, mais prier pour ces diables de Français colonialistes, c'est peine perdue. Excusez-moi, ma soeur, si je manque de politesse envers vous; mais je pense qu'il ne faut jamais prier pour cette bande de diables blancs, et je n'ai qu'envie de demander à Dieu que la terre s'entrouvre pour engloutir toute leur race en enfer, comme cela est arrivé autrefois pour les Israélites révoltés contre Moise. Je demanderais cependant une exception pour les Pères et les Soeurs missionnaires, car je les considère et les aime comme les pères et mères du peuple vietnamien.

 Arrivé à ces mots, j'étais tellement indigné, que je me mis à pleurer. Ce n'est qu'après que j'ajoutai:

-Malheur à vous, Français, Dieu, dans sa justice, vous punira très sévèrement pour vos péchés... Thérèse, ma sainte et bien-aimée soeur, vous savez sans doute que je suis de la race vietnamienne!... Je suis très irrité!... Si j'avais entre les mains ne fut-ce qu'un revolver, j'oserais quand même lever l'étendard de la révolte pour me battre contre les Français; et même si je n'arrivais à tuer qu'un seul d'entre eux, cela suffirait pour me contenter...

 Durant cette colère où je me laissais aller à des paroles et à des gestes violents, Thérèse gardait le silence, et endurait tout avec patience. Son exemple m'a amené dans la suite à me repentir et à lui demander pardon. J'ai même versé des larmes en voyant chez elle une telle patience et une si généreuse condescendance. Dès que j'eus fini de parler, je sentis la honte et la chaleur me monter au visage, et je n'entendais plus la voix de ma soeur Sainte Thérèse. Ce n'est qu'un instant après, quand j'eus recouvré mon calme, qu'elle me dit doucement:

-Un revolver, qu'est-ce que cela vaut? J'ai encore ici une tactique capable de tuer des milliers et des milliers de Français sans qu'il soit nécessaire de lever l'étendard de la révolte au prix de nombreux soldats et d'une grande quantité de munitions.

 Je lui répondis en riant:

-Ma soeur, dites-moi quelle est cette tactique, et protégez-moi.

-Petit frère, me promets-tu de faire usage de cette tactique-là?

-Oui, ma soeur, je vous le promets.

-Petit frère, il s'agit de la tactique de la "prière". A mon avis, la tactique de la prière est celle qui peut tuer le plus grand nombre de Français. Et pour en arriver là, il suffit de dire une courte formule. Sache bien ceci: une fois que l'homme pécheur aura été expulsé par la grâce divine du coeur des Français, ils ne seront plus remplis de ruses comme maintenant, mais ils sauront aimer le peuple vietnamien comme eux-mêmes. Pour en arriver là, petit frère, il faudra beaucoup de sacrifices et beaucoup de prières.

 A partir de ce jour-là, chaque fois que ma sainte soeur me demandait de prier pour les pécheurs, elle me rappelait également les péchés du peuple français et me disait:

-Petit frère, venge-toi des Français selon l'esprit du divin Rédempteur; c'est-à-dire laisse de côté tout ressentiment et offre tes prières devant le trône de Dieu pour leur obtenir des grâces de pardon et de sainteté."

 Une fois, ma soeur me parla de la guerre à venir entre Français et Vietnamiens. Puis elle conclut en ces termes:

-Prie donc, mon cher petit frère, prie beaucoup pour le peuple français. Plus tard, il ne sera plus l'ennemi du Vietnam, ta patrie. Grâce à la prière et aux sacrifices, il deviendra son ami intime; plus encore, il considérera le Vietnam comme son petit frère le plus cher. Mais avant d'en arriver à cette rencontre amicale, le démon suscitera de nombreux obstacles dans le but de semer la division entre les deux pays, car il sait bien que lorsque les deux seront étroitement unis, lui-même subira de lourdes pertes dans sa marche en avant.

-Il est nécessaire qu'une âme s'offre à servir d'intermédiaire pour cette rencontre amicale, c'est-à-dire qui s'offre à se sacrifier et à prier dans l'ombre pour arrêter l'élan des puissances infernales.

-Ah! ma soeur bien-aimée, si j'avais l'honneur d'être cette âme, comme je serais heureux! Mais je ne sais si le bon Dieu y consentira.

-Pourquoi n'y consentirait-il pas? C'est précisément là tout ce qu'il désire. Désormais, petit frère, laisse de côté toute rancune à l'égard des Français; impose-toi de souffrir et de prier pour eux, afin que se réalise, comme le désire l'Amour, l'amicale rencontre entre la France et le Vietnam. Prie pour que des deux côtés il y ait compréhension et confiance mutuelle, de sorte que, ensemble, les deux pays en arrivent à la paix par les liens de l'amitié. La paix est le signe de l'amour. Quand les deux pays jouiront de la paix, portant ensemble dans la joie le joug de l'amour, alors le règne de Jésus, Roi d'Amour se propagera rapidement, et toi, petit frère, tu porteras le nom d'Apôtre de l'Amour."

Bulletin N°8: La vocation religieuse

 J'ai constaté que, depuis le jour où j'ai su réfléchir, sans avoir une notion bien nette de la vie religieuse, je désirais pourtant me consacrer à Dieu. Cependant, à partir du jour de ma première rencontre avec Jésus, ce désir est devenu de plus en plus pressant dans mon âme. Je désirais trouver un endroit éloigné du monde...afin de vivre avec Jésus seul qui m'avait enivré de son amour.

 Les gens disaient de moi:  De toute façon, il deviendra un saint prêtre. 

 Et moi, j'étais fermement résolu de devenir un prêtre parfait, un apôtre qui sait se sacrifier lui-même. Et pour rester fidèle à cette résolution, j'ai dû m'imposer de nombreux efforts tant au point de vue spirituel que corporel... Et plus j'avançais, mieux je comprenais la grandeur de ma tâche de futur prêtre. Je ne reculais devant aucune difficulté pour me forger un caractère droit, souple et constant. Ma seule raison de vivre était Dieu, et c'est vers lui que je voulais tout faire converger. Pour en arriver à ce but ardemment convoité, je n'avais qu'un désir: devenir un prêtre voué tout entier à l'Amour de Dieu.

 Hélas! en dépit de ce rêve si beau et si sincère, voilà que Dieu a bien voulu guider mes pas sur une autre route!...

 Un jour, ma soeur sainte Thérèse m'entraîna à faire une promenade au pied de la montagne. Elle badinait joyeusement, et j'espérais entendre d'elle des choses très agréables; mais, après quelques mots sur la beauté de l'herbe et des nuages, voilà qu'elle me dit subitement:

-Vàn, mon petit frère, j'ai une chose à te dire, seulement je crains que cela ne t'attriste.

-Oh! ma sainte et bien-aimée soeur, comment pourrais-je être triste avec vous? Jusqu'à maintenant, est-ce que vous m'avez jamais vu triste à cause de vos paroles?

-C'est vrai, mais aujourd'hui je sais que de toute façon tu seras triste et bien triste... C'est pourquoi je tiens d'abord à te demander ton consentement avant de t'en parler. Et maintenant, me promets-tu de "ne pas t'attrister"? C'est à cette condition que j'oserai parler.

-Ma soeur, je vous le promets.

-Dans ce cas, je vais te le dire. Vàn, mon cher petit frère, Dieu m'a fait connaître que tu ne seras pas prêtre.

-Jésus! Est-ce bien vrai, ma soeur?

 Je me mis à pleurer. Mais pourquoi cela? Comment se fait-il que je ne puisse pas devenir prêtre?... Oh! non! non! jamais je ne me résignerai à vivre sans être prêtre. Je veux devenir prêtre pour offrir la messe, pour aller prêcher la religion, sauver les âmes et proclamer la gloire de Dieu... Oui! c'est une chose décidée, il faut que je devienne prêtre.

-Vàn, attends un peu avant de pleurer. Je ne t'ai pas encore tout dit, petit frère. Oui, être prêtre, ce n'est pas difficile; aussi je ne t'ai pas dit que tu ne pouvais pas devenir prêtre. D'autre part, qui oserait se vanter d'être digne de la vocation sacerdotale? Par conséquent, si Dieu veut que ton apostolat s'exerce dans un autre état de vie, qu'en penses-tu? Moi-même autrefois, est-ce que je n'ai pas désiré devenir prêtre pour aller prêcher l'Evangile? Mais Dieu ne l'a pas voulu.

-Pour vous c'est différent, puisque vous êtes une fille; mais moi je suis un garçon.

-C'est vrai, (Thérèse riant), être garçon comme toi c'est la condition requise pour être promu au sacerdoce... L'état sacerdotal est un état sublime, mais il est impossible de l'embrasser en dehors de la volonté de Dieu. Avant tout et par dessus tout, l'état qui prime tous les autres, c'est de se conformer entièrement à la volonté de notre Père du ciel.

 Je posai encore cette question:

-Mais pourquoi le bon Dieu ne me choisit-il pas pour être prêtre?

 Sans donner d'explication, Thérèse me répondit:

-Allons petit frère, tout en n'étant pas prêtre, tu as quand même une âme de prêtre, tu mènes une vie de prêtre et les désirs d'apostolat que tu te proposais de réaliser dans l'état sacerdotal, tu les réaliseras tout comme si tu étais réellement prêtre. Vraiment, il n'y a en cela aucune difficulté pour la toute-puissance de Dieu. Crois bien que Dieu, infiniment puissant et juste ne peut jamais refuser d'accueillir le désir d'une âme droite qui, par amour pour lui veut réaliser de grandes choses. Oui, crois fermement que ton désir du sacerdoce est très agréable à Dieu. Et s'il veut que tu ne sois pas prêtre, c'est pour t'introduire dans une vie cachée où tu seras apôtre par le sacrifice et la prière, comme je l'ai été autrefois. En réalité, la volonté de Dieu n'a rien de cruel. Dieu te connaît mieux que tu ne te connais toi-même, et c'est lui qui a fixé d'avance la durée de ta vie dont il connaît tous les événement. C'est pourquoi, dans sa sagesse, il a dû arranger les choses de façon que tu puisses exercer sans retard ton apostolat en ce monde. Petit frère, réjouis-toi, et sois heureux d'avoir été mis au nombre des "Apôtres de l'Amour de Dieu" qui ont le privilège d'être cachés dans le coeur de Dieu pour être la force vitale des Apôtres missionnaires. Oh! petit frère, peut-il y avoir un bonheur plus grand que celui-là? Si, en ce moment tu laisses couler tes larmes, c'est sans doute parce que tu n'as pas encore compris. Mais quand tu auras compris ta vocation et la faveur exceptionnelle que Dieu t'a accordée, tu en seras si heureux que tu ne sauras quels mots employer pour lui dire toute ta reconnaissance. Petit frère, toujours tu auras comme fonction d'être "l'Apôtre caché de l'Amour".

-Ma soeur, en quoi consistera cette vocation cachée? Si je ne deviens pas prêtre, alors que pourrais-je bien faire?

-Tu entreras en religion.

-Comment!...entrer en religion! Ah! ma soeur, quel bonheur! Oui, je vais demander d'entrer au Carmel comme vous, pas autre chose.

-Un garçon entrer au Carmel? dit Thérèse en riant.

-Oh! vous venez de me dire que ma vocation serait une vocation cachée...or, il n'y a qu'au Carmel qu'on mène une vie cachée...

-Petit frère, tu ne comprends pas encore.. mais tu finiras par comprendre.

 Un matin, après la communion, je me mis à sangloter, me plaignant à Jésus en ces termes:

-Comment pourrais-je entrer au Carmel qui n'admet que des femmes, alors que moi, je suis un garçon?

 Thérèse, ne voulant pas que je gaspille mes larmes d'une façon insensée, éleva la voix et me dit joyeusement:

-Vàn, mon petit frère, tu es par trop candide; en ce monde, il est facile de trouver de petites âmes sincères comme la tienne. Je t'aime, petit frère.

 Puis elle ajouta:

-Il est vrai que Dieu infiniment puissant peut faire tout ce qu'il veut. Il pourrait par conséquent en un clin d'oeil, te changer de garçon en fille. Mais tu dois comprendre également que le bon Dieu ne fait jamais de miracle du genre de celui que tu imagines. Bien qu'un tel miracle soit possible, il ne le fait pas, parce que de fait ce n'est pas nécessaire. De plus, Dieu étant infiniment sage, ne fait jamais une chose qui pourrait être inutile.

-Je savais bien que ton désir ne se réaliserait pas; mais vu que tu étais si sincère, je t'ai demandé d'en parler à Jésus pour lui faire plaisir. Crois bien ceci: parce que tu es sincère avec Dieu même dans les choses chimériques de ce genre, tu as gagné son coeur, et il t'accorde un grand nombre de grâces très précieuses. Rappelle-toi que Dieu aime beaucoup les petites histoires amusantes comme celle que tu viens de raconter.

-Mais, ma soeur, si je ne puis entrer au Carmel parce que je suis un garçon, dans quelle congrégation pourrai-je donc entrer?

-Dans quelle congrégation? Ah! pour cette affaire, tu devras recourir à la Sainte Vierge.

-Mais je pense que vous le savez très bien vous aussi.

-Oui, je le sais très bien et pourtant il faut que ce soit notre Mère Marie qui te fasse connaître ce point-là qui relève de son pouvoir. Cela te parait compliqué? Ne t'en préoccupe pas; demande le à la Sainte Vierge, et elle te répondra sans tarder.

-Mais, ma soeur, comment lui faire cette demande?

-Je te l'ai dit déjà bien des fois: parle-lui franchement comme tu penses, sans te préoccuper; c'est très facile. Dis-lui tout simplement:

-O Mère, veuillez me faire connaître dans quelle congrégation Dieu veut que je me consacre à lui.

 A partir du jour où ma soeur Thérèse me recommanda de recourir à la Sainte Vierge pour connaître dans quelle congrégation Dieu me voulait, j'ai suivi son conseil. et en même temps je me renseignais sur l'Ordre des Dominicains et celui des Cisterciens... Durant ce temps, j'allais plusieurs fois tous les jours à l'autel de Marie pour lui demander conseil, mais c'était apparemment sans résultat; Je ne recevais d'elle aucune réponse. Ce silence me rendit perplexe. Des deux ordres que je connaissais depuis peu de temps, je ne savais lequel choisir. D'ailleurs comment aurais-je pu y fixer mon choix, alors que je ne sentais aucun attrait ni pour l'un ni pour l'autre. J'ignorais s'il existait encore d'autres congrégations, et je me demandais pourquoi ma Mère Marie ne me répondait pas. J'étais inquiet et troublé. C'est juste à ce moment que la Sainte Vierge m'envoya un songe bien doux.

 Deux semaines après que sainte Thérèse m'eut conseillé de prier à l'intention mentionnée plus haut, une nuit d'hiver que je souffrais du froid plus qu'à l'ordinaire, je m'étais assoupi à peine depuis un instant, quand soudain un courant d'air glacial pénétra à travers les fentes de la fenêtre jusqu'à mon lit et me fit ouvrir subitement les yeux, comme si quelqu'un était venu pour me réveiller. Après, il me fut impossible de me rendormir. De temps en temps, venait de la montagne un coup de vent impétueux comme une chute, et j'avais l'impression qu'il crachinait. Plus la nuit avançait, plus le froid devenait intense. Seul, enroulé dans deux minces couvertures, je sentais toujours les morsures du froid comme si j'avais été étendu sur un rocher. Il m'était bien difficile de dormir, non parce que je n'avais pas sommeil, mais parce que je devais lutter contre le froid.

 L'hiver à Quang-Uyên était pour moi un grand supplice. Durant le jour, je devais rester en classe et me réchauffer un peu en faisant brûler quelques petits morceaux de bois dans une boite de conserve. Mais la nuit, le froid devenait on ne peut plus pénible; j'avais de la peine à dormir, et je soupirais après la venue du jour pour me réchauffer aux rayons du soleil. Tout l'hiver, j'avais habituellement les mains et les pieds enflés et couverts de gerçures d'où le sang s'échappait. Mais le Père Maillet n'en savait rien, et moi, je considérais la chose comme une faveur particulière que je devais garder secrète, d'autant plus, mon Père, que j'étais un élève pauvre.

 Donc, durant ces nuits sans sommeil, je passais mon temps à dire le chapelet, veillant avec la Sainte Vierge et m'entretenant avec elle. Cette nuit-là, je suivais exactement le même programme; mais après avoir médité sur les mystères joyeux et commencé les mystères douloureux, je m'endormis soudain, et c'est alors que se produisit l'heureux songe que voici: Je rêvais que, étant couché sur le côté, la face tournée vers le mur, je continuais attentivement la récitation du chapelet, tout comme lorsque j'étais éveillé. Tout à coup, j'aperçus, venant du côté de la salle d'étude, quelqu'un qui s'avançait vers la tête de mon lit.

 Le personnage venant à moi était assez grand, habillé tout de noir, et son visage reflétait une grande bonté. Je remarquai qu'il portait à l'intérieur un habit noir ajusté par une ceinture, et descendant jusqu'aux talons. Il était enveloppé dans un ample manteau de la même longueur et avait la tête couverte d'une calotte noire; sur le collet de son habit émergeait quelque chose de blanc. Ses deux bras à moitié dissimulés sous son manteau n'étaient visibles qu'à partir du coude. De la main gauche, il tenait un chapelet aux gros grains qui descendait presque jusqu'aux genoux, mais dont je ne voyais ni le crucifix ni l'extrémité. Tout au début, je croyais avoir affaire à un fantôme, et je me proposais de prendre la fuite. Mais, reprenant aussitôt mon calme, je me dis:

- Est-ce qu'un fantôme tient un chapelet à la main?

- C'est peut être la Sainte Vierge? Mais pourquoi est-elle tout habillée de noir?

- A moins que ce ne soit Notre-Dame des Sept Douleurs! Oui, c'est certainement elle qui vient à moi habillée de noir, parce que j'étais en train de méditer les mystères douloureux.

 Pendant que j'étais ainsi embarrassé par mes propres questions, le personnage s'était avancé jusqu'à la tête de mon lit. J'aperçus distinctement les traits de son visage épanoui et souriant. Il me regardait avec affection; la beauté de sa personne était telle qu'elle avait l'aspect d'un très doux rayon de lumière. A la vue d'une telle beauté, je poussai ce cri de joie:.

-Oh! Sainte Vierge, comme vous êtes belle!

 Son doux regard restait fixé sur moi, et moi, je regardais avidement ce personnage sans clignoter des yeux, car c'était la première fois que je voyais en ce monde une pareille beauté, une beauté que j'avais la certitude de ne plus revoir qu'au ciel. Voyant que je laissais paraître une certaine crainte, le personnage me caressa la tête de sa main droite et par son sourire il semblait me dire:

-N'aie pas peur!

 Le personnage me laissait le regarder et penser de lui tout ce que je voulais. Quant à lui, sans dire qui il était, il se contentait de sourire et de me caresser d'une façon on ne peut plus affectueuse. Après, je vis son visage s'illuminer encore davantage, et tout son corps rayonner d'une beauté ravissante. Puis le personnage me posa doucement cette question:

-Mon enfant, veux-tu?

 Surpris, je ne comprenais pas bien ce qu'il pouvait me demander de vouloir; mais spontanément je répondis:

-O Mère, oui je le veux.

 A peine ma réponse donnée, je le vis aussitôt me saluer de la tête et se retirer lentement à reculons vers la salle d'étude, me fixant toujours de son regard et me souriant avec beaucoup d'affection... Malgré mon étonnement, je me sentis envahi par une joie immense qui semblait m'attirer vers lui. Aussi je voulais me lever en hâte pour courir après lui... Mais, déception! le cher songe s'était évanoui!...

 Toute cette nuit-là, il me fut impossible de dormir, non plus à cause du froid, mais par suite d'un excès de joie. Je repassais sans cesse dans mon esprit la question que m'avait posée la Sainte Vierge, mais je ne comprenais pas dans quelle intention elle m'avait demandé:

-Mon enfant, veux-tu?

 J'avais bien hâte que le matin arrive, pour raconter mon songe à Hiên et à Tam, et leur demander s'ils croyaient comme moi que le personnage en question était Notre-Dame des Sept Douleurs.

 De fait, mon Père, ce n'est qu'après mon entrée dans la Congrégation que j'ai connu clairement que le personnage vu en songe n'était pas Notre-Dame des Sept Douleurs. Alors, qui donc était-i1?

 Plus tard, durant l'hiver de l'année 1944, voyant que les Pères Rédemptoristes de Hanoi, Thai-Hà-Ap, portaient une sorte de manteau semblable à celui de l'apparition vue autrefois en rêve, je me mis à douter... A quelques jours de là, après le travail de l'avant midi, je me rendais à l'oratoire pour une courte visite au Saint Sacrement. En montant l'escalier, je levai les yeux en direction du mur et j'aperçus, d'une façon tout à fait inattendue, une statue de saint Alphonse placée sur un socle; il levait la main droite pour bénir, tenait une barrette dans la main gauche, et avec sa tête inclinée en avant, il avait une attitude presque semblable à celle de la Sainte Vierge se tenant autrefois affectueusement à la tête de mon lit. Je m'arrêtai à regarder attentivement la statue un long moment, et je me demandais:

-Est-ce que je ne me serais pas trompé?..?

 Soudain, j'entendis la voix de ma soeur Thérèse qui riait et répondit aimablement à ma place:

-Oh! tu n'as plus besoin de douter, cher petit frère, sois bien certain que le personnage qui t'est apparu cette nuit-là, n'était autre que ton Père saint Alphonse.... Oui, le personnage que tu prenais pour Notre-Dame des Sept Douleurs était ton aimable Père saint Alphonse lui-même... C'est la Sainte Vierge elle-même qui l'a envoyé vers toi pour qu'il t'accepte dans sa Congrégation...

 Et quand tu as répondu:  O Mère je le veux,  il se fait que ta "Vierge Douloureuse" a agréé le désir de ton coeur, et à partir de ce jour-là, elle t'a considéré comme son enfant chéri...

 Je versai des larmes d'émotion. Thérèse continua:

-Y a-t-il au monde des âmes qui soient choyées comme tu l'es toi-même? Or, ce privilège, tu le dois à ta sincérité et à ta simplicité d'enfant...

-Ma soeur Thérèse, je reconnais maintenant que mon bonheur est vraiment grand, et je rougis de n'en être pas digne.. J'ai été vraiment ingrat envers mon Père Saint Alphonse! Aussi pour me conformer à votre parole, je me propose désormais de l'honorer davantage et de lui faire plaisir en gardant parfaitement les enseignements qu'il m'a donnés dans sa Règle. 

Bulletin N°8:

Le 15 juillet 1944, Joachim Vàn quitte sa famille pour rejoindre le monastère des Rédemptoristes de Thai-Hà-Ap. Sa mère lui donne ses derniers conseils:

 Le repas d'adieu terminé, je me préparai à me mettre en route. C'est ma mère qui se chargea de m'accompagner jusqu'à l'embarcadère.

 Après avoir franchi la porte du village, ne trouvant rien à nous dire, ma mère commença à réciter le chapelet... puis me donna ses derniers conseils d'une voix tremblante qui trahissait sa profonde émotion. Avant tout, elle me conseilla de rester ferme dans ma vocation jusqu'au bout, en dépit de toutes les difficultés et épreuves que je pourrais rencontrer. Je ne sais où ma mère a appris ces choses, mais voici ce qu'elle m'a dit:

 La vocation est une grâce que le bon Dieu ne nous donne qu'une fois. Et s'il nous arrive de la refuser, nous aurons beau faire, il nous sera impossible de l'obtenir de nouveau. C'est comme le cas d'un roi qui demanderait la main d'une pauvre fille de la campagne. Si cette fille sait que c'est là une faveur très précieuse provenant de la bonté du roi à son égard, comment pourrait-elle ne pas l'accepter? Mais si elle allait la refuser, plus tard, elle aurait beau vouloir l'obtenir, ce ne serait plus possible; le roi, après avoir essuyé un refus en aurait déjà choisi une autre pour l'établir reine. Il en est de même pour la vocation religieuse. Quand on a refusé de suivre l'appel du Seigneur, il donne cette faveur précieuse à une autre âme, de sorte que celui qui l'a perdue ne pourra jamais plus la racheter à aucun prix. 

 Peu à peu, ma mère passa à la question de l'observance de la Règle et elle me fit cette recommandation:

 Ne va jamais contre la volonté de Dieu. Cette volonté de Dieu te sera manifestée par la Règle, les coutumes de la communauté et par les supérieurs. Par conséquent, tu dois te résigner à réprimer ta volonté propre pour suivre la volonté de Dieu. Rien ne pourrait me causer un plus grand déshonneur que de te voir un jour revenir dans le monde pour n'avoir pas su obéir à tes supérieurs. Lorsque tu étais à Quang-Uyên, j'ai entendu dire que tu t'étais rendu coupable d'une pareille faute; mais quand tu es revenu à la maison je n'ai pas cru que tu avais agi ainsi. J'espère que tu es bien décidé, pour toute la vie de ne jamais suivre ta volonté propre, mais uniquement la volonté de Dieu. Souviens-toi que Dieu ne donne la paix qu'aux âmes qui cherchent sa volonté et s'y conforment. Plusieurs fois j'en ai fait moi-même l'expérience. Dans le village, tout le monde sait que j'ai connu de grandes difficultés, mais personne ne peut savoir comment il se fait que je sois toujours joyeuse et capable de vivre en paix. Rappelle-toi donc toujours mon conseil: ne t'écarte jamais du chemin qui t'a été tracé par la sainte volonté de Dieu. Si tu veux arriver au terme dans la paix et le bonheur, suis ce chemin où se trouve toujours le Seigneur, et tu jouiras de sa protection. 

 Une fois sortis du village de Thi-Mao, ma mère s'arrêta, puis me mettant la main sur l'épaule, elle fixa sur moi ses yeux remplis de larmes, et d'une voix tremblante plus qu'à l'ordinaire, elle me dit:

 Mon enfant, nous voilà arrivés près de l'embarcadère; je m'arrête ici et je te souhaite un bon voyage...Rappelle-toi les conseils que je viens de te donner... Prie beaucoup pour moi... j'accepte tout de bon coeur, puisque c'est là un don de Dieu... Je compte beaucoup sur tes prières. Demande au bon Dieu de me donner plus de courage.

 Je te laisse partir dans l'espoir que tu seras pour la famille et pour moi en particulier une force vivifiante. Mon enfant! Je souffre beaucoup de devoir me séparer de toi! Désormais je ne compte plus te revoir!... Mais puisque Dieu le veut, c'est de bon coeur que je te laisse partir en paix!... 

Bulletin N°8:

Le 12 juillet 1947, le Frère Marcel écrit à ses parents une longue missive, dans laquelle il évoque son enfance, Huù-Bang et sa situation actuelle de religieux cloîtré. Il est sans nouvelle de Ngiam-Giâo, village du delta tonkinois où réside sa famille, alors que des opérations militaires se déroulent dans la région de Bac-Ninh.

Mes chers parents,

 Aujourd'hui, bien que je ne sois pas prêtre, je suis quand même appelé le petit apôtre de Jésus. Vous voyez clairement par là que Jésus a répondu à votre volonté concernant vos projets d'avenir à mon sujet, puisque moi-même je vois déjà réalisé mon désir d'être l'apôtre de Jésus, pour le bien des âmes. Et vu que Jésus m'a choisi pour être son petit apôtre, ma mission d'apôtre m'oblige à m'en aller bientôt au ciel. Si je considère le temps qui me reste à passer sur cette terre, je vois qu'il ne sera plus bien long; c'est pourquoi je vous dis: même si vous ne me voyez plus vivant sur cette terre, ne cessez de penser que je vis heureux avec Jésus dans le ciel. Je suis certain que, m'ayant offert à Dieu de bon coeur, vous ne manquerez pas de lui offrir aussi volontiers ma vie. Bien que je parle ainsi, en réalité, je suis actuellement en bonne santé comme à l'ordinaire, sans aucune maladie. Il me semble cependant qu'il me reste bien peu de temps à vivre, et ce peu de temps, j'ignore quand il sera écoulé. Il se fait donc que ce peu de temps, je dois l'attendre encore longtemps, mais sans me décourager; et de toute façon, un jour viendra où je verrai mon Bien-Aimé face à face. Cependant, mes chers parents, avant de vivre éternellement heureux avec Jésus, permettez que je vous dise d'un coeur sincèrement reconnaissant: "Je vous aime beaucoup." Que je sois sur terre ou dans le ciel, je ne cesserai de vous aimer éternellement dans l'Amour infini de Jésus.

 Je sais que depuis mon enfance jusqu'à maintenant, je n'ai rien fait pour vous exprimer ma reconnaissance; je pense cependant que l'amour sincère qui habite mon coeur suffit pour que vous soyez contents de moi, votre petit enfant. J'ai demandé à Jésus de vous accorder beaucoup de grâces; si vous ne les obtenez pas pendant que je suis sur cette terre, quand je serai au ciel, je les demanderai de nouveau pour vous, principalement pour vous, Papa, j'ai demandé beaucoup de grâces, mais je n'ai pas encore vu beaucoup de résultats. Une fois au ciel, je me servirai de toute la puissance de mon petit coeur aimant pour changer votre coeur; et ainsi j'obtiendrai la faveur demandée, mon coeur sera dans la joie, et Jésus sera content... 

 

Témoignages

 

Bulletin N°5:

Nous terminons la présentation du témoignage dans lequel le Père Joseph Khan a évoqué ses souvenirs de Quang-Uyên, et à cette occasion nous remercions le Seigneur de nous avoir permis de mieux découvrir notre ami, Vàn, alors âgé de 14 ans, grâce aux écrits de ses deux compagnons de vie, devenus tous les deux prêtres de Jésus Christ .

La nuit du 3 Octobre 1942, nuit historique .

Soudain Vàn bondit. Quelle idée peut-il avoir? Il rit et dit:  Ah!.. Ah!.., c'est un secret. Cette nuit, nous allons veiller pour fêter Sainte Thérèse et.... 

Après le dîner, on dit la prière, puis on se couche comme d'habitude; mais on aimerait bien connaître le  secret de cette nuit... . On éteint les lampes et très vite après, s'élève un ronflement, auquel d'autres répondent...C'est le moment de nous lever sans faire de bruit et d'installer nos trois lits côte à côte, celui de Vàn au milieu, celui de Hiên vers l'intérieur de la pièce et le mien contre la fenêtre. Nous nous regroupons sous la couverture partagée et commençons à parler. C'est surtout Vàn qui nous a parlé. Il conseille à Hiên de ne plus penser à sa famille. Il nous dit:  Nous devons vivre dans la joie. Dieu veut que nous vivions dans ces circonstances . Il faut les accepter, vivre et mourir ensemble...  On entendait Hiên sangloter; Vàn alors devait l'apaiser.

Soudain le chien ba-tô se met à aboyer dehors. Nous nous taisons, en retenant notre souffle pour mieux écouter. Plus de la moitié de la nuit s'est écoulée.

Vàn, alors, d'un ton grave, nous déclare:

 Tous les trois, nous nous sommes offerts à Dieu. Acceptons d'être ici pour obéir au Père Ngu. Il est bon et il nous a envoyés ici pour affermir notre vocation. Ce qui est triste, c'est que nous n'étudions pas, qu'il faut nous occuper des vaches, travailler encore et manger misérablement...  Vàn réfléchit, puis poursuit:  C'est certainement là une volonté de Dieu. Il faut nous aider mutuellement à la suivre. Il faut, à l'instant même, que liés par une amitié fraternelle, nous décidions de vivre et mourir ensemble et de ne pas nous séparer

Comme signe de cette amitié, Vàn nous invite à joindre chacun un doigt aux doigts des deux autres. Nous le choisissons comme frère aîné. Pour montrer profondément son amour fraternel, Vàn donne un signe merveilleux en nous embrassant tous les deux. C'est d'abord Hiên. Puis c'est mon tour. Etant encore très simplet, je fus très ému de penser que je n'avais plus à craindre d'être rejeté et me mis à pleurer...Je n'ai plus très bien compris ce que Vàn dit alors.

Nous nous sommes endormis. A peine assoupis, on entendit sonner le réveil. Vite levés, nous avons remis nos lits en ordre. Un nouveau jour commençait...

Depuis cette nuit du 3 Octobre 1942, les trois amis qui ressemblaient jusque là à des branches desséchées, ont reçu l'eau d'une nouvelle naissance. Ils échangent leurs pensées, ils vont avec entrain conduire les vaches au pâturage. Hiên ne pleure plus en pensant à sa famille. Souvent, au crépuscule, le travail terminé, ils vont au pied de la montagne lancer des cerfs-volants. A d'autres occasions, ils font la course ou bien jouent à des jeux scouts ou au téléphone avec des boites de lait vides percées de deux trous, recouvertes de peau de grenouille et reliées par de longs fils...

La séparation, quelle tristesse!

Le printemps arrive. C'est le moment où la végétation repart, où les bourgeons gonflent; partout apparaissent des fleurs aux mille couleurs, du pied de la montagne jusqu'à la source et au jardin de la maison...

Mais un soir, une sorte d'orage éclate. Le Père Binh lit une lettre recommandée. Il convoque Hiên, parle d'abord fort puis doucement. Hiên pleure. Vàn et Tam écoutent au dehors, comprenant qu'il s'agit d'une mauvaise nouvelle. Quelques minutes après, Hiên sort en pleurant, les yeux rouges. Vàn l'accompagne vers la classe. A travers ses larmes, Hiên annonce qu'il doit partir le lendemain à Lang-Son où sa famille viendra le chercher pour le conduire à Bac-Ninh. Là il poursuivra ses études et attendra le début de l'année pour entrer au petit séminaire Dao-Ngan, à Dap-Cau. Hiên avait écrit à sa famille en cachette. Celle ci était intervenue auprès du Père Ngu pour contraindre Hiên à revenir. Tout le monde pleure, puis se console mutuellement.

Le lendemain à 7 heures, ils vont tous les trois au marché. Hiên monte dans le car. Ils se disent adieu, tout en pleurant jusqu'à ce que le car disparaisse. Ceux qui restent se rappellent encore de ce que Hiên a dit dans la classe avant de partir:  Maintenant, je suis heureux ici. Je veux rester mais il me faut partir. 

Vàn et Tam sont tristes, ils regrettent tellement le départ de Hiên. Lentement, ils retournent à la Cure; Tam pense à Hiên: lui aussi doit les regretter, il doit se souvenir de Quang-Uyên, cet endroit où ils ont ensemble tous les trois vécu tant de joies, de peines et de misères, où ils ont partagé leurs pensées intimes. Et maintenant, se reverront-ils? Et quelle sera la vie de Hiên?

La vie continue...Vàn et Tam travaillent chaque jour comme des ouvriers. Le Curé ne parle plus d'études. On garde cependant toutes les habitudes de piété: visites au Saint Sacrement 5 à 7 fois par jour, visites à la grotte, séjour en classe pour écrire son journal ou ses pensées, partager ses confidences, s'encourager mutuellement à bien remplir son devoir d'état, prier la Providence de nous garder fidèles à notre vocation. ...Vàn écrivait son journal...Il disait que c'était son bien personnel où l'on s'exprime affectueusement avec Dieu, comme Sainte Thérèse écrivait  L'histoire d'une âme ...

La tempête, quelle tristesse !

Le troisième jour du Têt 1943, je ne l'ai jamais oublié. Personne ne parlait. On fermait les portes et on restait à regarder le plafond avec de profonds soupirs. Nous nous regardions avec Vàn, les yeux pleins de larmes et rentrés en classe, nous avons continué à pleurer penchés sur la table. Après la récitation du chapelet, vers 15 heures, le Père appela Vàn et le fit entrer dans son bureau pour lui parler en particulier. Moi, au dehors, je tremblais en pleurant. J'entendais la conversation à voix basse, comme le soir où le Père avait parlé avec Hiên, l'année dernière. Je priais en silence, demandant que Vàn ne me laisse pas seul.

Vàn sort, la figure en pleurs. Il va droit vers la classe et pleure à flots. Je l'interroge sans succès. Il se contente de me dire:   Oh ! Quelle douleur, j'ai trop froid au coeur, je ne sais comment dire... 

Vers 17 heures, Vàn, levant la tête, me dit:  Je dois partir. Je te plains de rester ici. Je sais que tu auras beaucoup à souffrir. Comment faire? A chacun Dieu choisit son chemin...  En pleurant, je le suivis pour l'aider à ranger ses affaires. Comme bagages, c'était léger en arrivant et ce l'était encore plus en partant...

Cette nuit là, Vàn poussa de longs soupirs et se retourna souvent dans son lit. Je gardais les yeux ouverts, attendant pour voir si Vàn allait me donner quelques conseils. Mais Vàn ne me dit rien. J'entendis seulement le cri des poules, et à la première veillée je m'endormis.

A la fin du petit déjeuner, Vàn se leva pour saluer tout le monde. Tous, avec émotion, lui serrèrent fort la main, lui souhaitant d'arriver chez lui en paix et de rencontrer beaucoup de bonne chance.

Joie de retrouver Hiên.

...Au mois d'août 1946, le Père Thuân, curé de la paroisse de Thanh Da, me présenta à l'examen d'entrée au séminaire de Dao Ngam et j'ai été reçu. A la rentrée, en septembre 1946, j'y ai retrouvé Hiên. Quelle joie réciproque! Nous avons été choisis comme solos pour la chorale; ainsi, nous étions côte à côte pour chanter la messe . Hiên, c'est clair, était le frère aîné.

...Durant l'année scolaire 1947-1948, le séminaire a été incendié par les Viêt-minh. Ils avaient déployé une affiche:  Il faut exterminer tous les résistants... 

...En juin 1949, avec deux autres séminaristes, nous nous sommes enfuis à Tiên Nha; en août 1949, je suis parti seul pour Pha Lai, d'où je voulais rejoindre Hanoi pour y étudier. Accueilli à l'orphelinat Sainte Thérèse de L'Enfant-Jésus, dirigé alors par le Père Kim, Monseigneur Seitz, je pouvais à la fois étudier et diriger une chorale...

J'ai revu Vàn .

Grâce aux séminaristes logés provisoirement au couvent des Dominicains, à Cat-Tut, qui allaient étudier au couvent des Rédemptoristes, j'ai appris que Vàn y était déjà Frère coadjuteur. J'étais ému et je n'osais pas le rencontrer tout de suite. Il m'a fallu lui écrire 2 ou 3 fois. Il répondait à chaque lettre et me donnait rendez-vous pour le rencontrer. Dans ses lettres, il me conseillait la solide confiance en Dieu, en suivant l'exemple de la Petite Thérèse. Il m'invitait à l'abandon de ma vie à Dieu. Il me dirigera. Chaque fois, il ajoutait des images du Seigneur, de Marie ou de Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus et écrivait derrière quelques mots d'un sens profond. J'ai remis toutes ces images au séminariste Bao, en 1959.

A chaque rencontre, nous étions tous les deux très émus. Il était maigre. Il portait le costume des Frères. Il avait un air très surnaturel. Quand il parlait, c'était pour parler de Dieu, de Sainte Thérèse. C'est comme si Thérèse et lui ne faisaient qu'un. Je pense qu'il était totalement imprégné de sa Petite voie spirituelle...Quant à moi, j'étais un  orphelin . Mon chemin dans le monde était plein d'épreuves, et encore long, long...

Avant d'entrer au petit séminaire Pie XII à Hanoi, je suis allé voir Vàn et lui raconter brièvement le bouleversement de ma vie depuis son départ de Quang-Uyên. Tous les deux, nous avons rendu grâce à Dieu. Vàn m'a conseillé avec force d'être courageusement fidèle à la grâce de Dieu, qui jamais ne nous abandonne. Dans toutes les lettres qu'il m'a écrites par la suite, il m'invite sans cesse à l'abandon, au sacrifice, au courage, à la foi inébranlable en Dieu. Chacune de ses lettres était pour moi un merveilleux encouragement.

C'est à cette occasion que j'ai proposé à Vàn de demander au Père Supérieur une retraite de 3 jours pour notre groupe de quatre jeunes. Avec joie, il alla voir le Supérieur qui l'accepta tout de suite.

La retraite .

Nous étions, à ce moment là, secoués par les événements et assez perturbés dans nos esprits. Nous n'avons pas demandé des sermons, mais seulement la possibilité d'échanger ensemble et de réfléchir en particulier.

Nous avons été très émus de voir ce même Vàn et un autre Frère servir le repas et s'occuper de nous. Il était maigre, mais vigoureux et rapide. Je le regardais avec admiration, chaque fois qu'il venait nous demander ce que nous désirions. Je lui demandais d'avoir un entretien particulier avec lui. Il refusa parce que, étant au noviciat, il n'avait pas cette permission.

Depuis le séminaire, de temps en temps je lui écrivais. Chaque fois, il me répondait. Il n'avait rien de nouveau à dire, mais ses réponses avaient le pouvoir étonnant de m'aider spirituellement...

Par hasard, je découvre un lien qui me conduit à Vàn.

J'ai passé quatre années d'études au grand séminaire de Suant Bich, de 1957 à 1961. J'y ai retrouvé la même atmosphère qu'à Lang-Son: ouverture, cordialité entre professeur et séminaristes, et séminaristes entre eux. J'y étais comme un poisson dans l'eau.

Un jour, après le dîner, j'ai conversé avec le séminariste Ignatius Bao, étudiant dans ma classe et Rédemptoriste plus âgé que moi. Après quelques questions pour faire connaissance mutuelle, nous découvrons que nous sommes tous les deux amis intimes de Vàn. Le Frère Bao a fait son année de noviciat avec Vàn. Il a reçu la mission de son Supérieur de rassembler documents et souvenirs et d'écrire le récit de la vie du Frère Marcel Vàn pour...

En lisant ce que Bao a écrit au sujet de Vàn, je suis infiniment ému. Je vois que Dieu cueille les belles fleurs pour le Ciel, de bonne heure. Il me laisse, moi, submergé, flottant dans une vie pleine de poussière. Je prie Dieu si bon, d'avoir pitié de moi, par l'intercession du Frère Marcel Vàn.

C'est ainsi que je peux résumer la vie de Vàn : il était toujours volontaire pour aller là où c'est difficile.

Si Dieu me prête vie, et si les circonstances le permettent, j'irai revoir tous les lieux où Vàn a laissé la trace de ses pas...

Après mon séjour en prison, j'étais frappé d'étourdissements et me suis évanoui plusieurs fois, et même trois fois pendant la messe. Que c'est étonnant! Le Gouvernement communiste m'a permis d'aller à l'étranger pour ma santé. La demande d'aller dans trois pays d'Europe a été refusée. J'ai alors demandé d'aller en Amérique. Chose plus étonnante encore: L'Amérique a accepté et les Viet Công ont permis.

En Amérique, j'ai eu l'occasion d'entrer en relation plus souvent avec Tê, la soeur de Vàn et je me suis efforcé d'écrire ses années de jeunesse à Quang-Uyên, et toutes les années où je suis encore resté en rapport avec lui.

Voilà tout ce dont je puis me souvenir. C'est une histoire qui a déjà 52 ans (1941-1994), comment pourrais-je me souvenir de tout? Je prie Vàn de m'excuser.

Avec Soeur Anne Marie Tê, je ne sais comment résumer, tellement cette histoire nous tient tous les trois étroitement unis.

Fini d'écrire en la fête de Notre Dame du Rosaire, le 7 octobre 1994. Davenport, IA, USA. Joseph Tam = Khân.

Bulletin N°6

Dans des écrits du Frère Marcel, regroupés après traduction par le Père Antonio Boucher dans un document appelé  Journal intime et autres écrits-poésies , on peut lire, à la date du 7 décembre 1947, le texte  d'une lettre qu'on a laissé tomber dans mon âme. 

Le Frère Marcel s'adresse à son directeur spirituel. Il lui écrit:

 Avant de me conduire dans ce monastère, Dieu m'a fait passer par trois étapes différentes. Ces étapes, gravées dans mon esprit sans que j'en comprenne la signification, ce n'est que ces derniers jours, que Jésus m'a fait connaître qu'elles ne serait pas sans utilité pour le salut des âmes.

 A la première étape, Dieu m'a conduit dans une chrétienté administrée par un prêtre que tous considéraient comme un homme d'expérience.(...)

 Dans une deuxième étape, Dieu m'a fait passer par une paroisse confiée à un Père dominicain espagnol.(...)

 Le chemin parcouru dans la troisième étape n'est pas très long, mais l'expérience que j'y ai acquise demeure gravée dans mon coeur du début à la fin.

 Le Vicariat de Langson est un territoire de montagnes escarpées, cédé aux Dominicains français par les Dominicains espagnols, lors de la division du Vicariat de Bac-Ninh. C'est vraiment une région hérissée de montagnes où il est difficile de gagner sa vie, et où l'on rencontre des occasions de se sacrifier un peu. J'ai pu me rendre compte que Dieu avait réservé cette part de sacrifice aux missionnaires dominicains français!... 

Les trois étapes évoquées par le Frère Marcel sont dans l'ordre: Hùu-Bang, Thai-Nguyên, puis enfin Langson et Quang-Uyên.

Nous avons pensé qu'il convenait d'évoquer la mémoire des deux Pères dominicains français qui desservent la paroisse de Quang-Uyên, en 1942-1943, au moment où s'y déroulent de si extraordinaires événements pour le petit Vàn.

Il s'agit des Pères Brébion (Père Uy) et Maillet (Père Binh) .

Le Père Brébion, tout d'abord.

Né en 1867, ancien piqueur de rues à Lyon, le Père Brébion s'embarque à Marseille le 9 février 1902, avec deux autres confrères dominicains de la Province de Lyon: le Père Cothonay, âgé de 48 ans et le Père Bardol, qui n'en a que 26.

Assignés dans le diocèse de Haiphong, confié alors aux Dominicains espagnols de la Province de Manille, ils forment l'avant-garde des missionnaires Dominicains français au Tonkin. Dès 1903, arrivent les Pères Fraisse, Hedde et Robert.

Appelés pour la vigne du Seigneur, ils montent très vite, l'un après l'autre, vers la Haute Région tonkinoise, peuplée de païens que les Pères Dominicains espagnols, faute d'effectifs, n'ont pas encore pu approcher. S'initiant aux multiples langues, dialectes et patois montagnards, les Pères Dominicains français cherchent le chemin des âmes et installent postes missionnaires et missions jusqu'à la frontière de Chine, puis vers la Province de Ha-Giang, à la frontière du Yun-Nan. Leur apostolat permet au Saint-Siège d'ériger la Préfecture Apostolique de Langson et Cao-Bang dès le 30 décembre 1913 et de la confier aux Dominicains français, en la personne de Monseigneur Cothonay, arrivé avec le Père Brébion en 1902.

Ce dernier se révèle d'emblée un architecte distingué. Après la chapelle de Do-Son, édifiée à l'embouchure du Canal des Rapides, non loin de Haiphong, il continue à construire pour les Pères espagnols du diocèse de Bac-Ninh, qu'il quitte en 1914 pour celui de Langson et Cao-Bang. C'est lui qui construira la cathédrale de Langson, en 1923, et le petit séminaire Saint-Michel, en 1929, avant d'en prendre la direction jusqu'en 1932.

En 1937, il part avec le Père Maillet pour fonder le poste de Quang-Uyên. Il y construit l'église dans laquelle Vàn viendra prier et qui sera totalement détruite en 1947.

La nouvelle de sa mort parvient au début de janvier 1949: il semble avoir été étranglé, car on l'a trouvé crispé, sur son lit, la bouche pleine de sang...

Il rejoignait ainsi son Seigneur, à 82 ans, au terme d'un séjour de 47 ans utilisé à bâtir églises, chapelles et séminaire au Tonkin.

C'est de lui que Vàn écrit dans son Autobiographie, lorsqu'il évoque son départ de Quang-Uyên en juin 1943:

 Jusqu'à mon départ, le Père Brébion continua à désapprouver le Père Maillet. Quand je vins lui dire adieu, il me serra la tête entre ses mains et me consola en ces termes: Ne t'attriste pas, car jusqu'à maintenant, j'ai constaté que tu étais un enfant fervent et vraiment vertueux. Peut-être que le Père Maillet se trompe en te traitant ainsi; cependant, ne t'attriste pas outre mesure, car à part Dieu seul, personne ne peut te comprendre. Or, du moment que Dieu témoigne en ta faveur, tu n'as pas à te préoccuper, il te viendra en aide. Reste donc en paix, abandonne-toi à lui avec joie et une entière confiance. Bon voyage! Puisses-tu trouver bientôt le bonheur. 

Le Père Maillet, ensuite.

Né en 1884, le Père Maillet arrive au Tonkin en 1919, avec le Père Craven.

C'est à lui que Monseigneur Cothonay laisse la Préfecture Apostolique de Langson et Cao-Bang lorsqu'il prend sa retraite en 1924. Peu après, il est promu Préfet Apostolique, mais, en 1929, il démissionne et rentre en France. Il est remplacé par le Père Félix Hedde, nommé Préfet Apostolique le 8 janvier 1932.

Le 29 janvier 1932, le Père Maillet revient au Tonkin. Monseigneur Hedde, son successeur au siège épiscopal de Langson, le nomme Supérieur du Petit Séminaire de Langson, à la place du Père Brébion.

C'est avec le Père Brébion qu'il partira, en 1937, pour fonder la cure de Quang-Uyên. Il y accueillera Vàn en août 1942 et l'en chassera en juin 1943.

La nouvelle de la mort du Père Maillet parviendra au même moment que celle de la mort du Père Brébion. Le contexte est identique, mais le moyen utilisé est différent: fourré dans un panier de rotin et jeté dans un gouffre. Il aurait eu le temps de poser cette question à ses bourreaux :  Je ne vous ai fait que du bien, pourquoi me traitez-vous ainsi? 

Du monastère de Hanoi où il se trouve, le Frère Marcel écrit au Père Drayer Dufer, le 29 juin 1949, qui l'avait accueilli au petit séminaire de Langson, en janvier 1941, et, peu après, admis dans la troupe des Cadets, puis chez les Scouts :

 ...L'an dernier, j'ai reçu aussi des nouvelles des deux vétérans de Quang-Uyên. Ces nouvelles m'ont rempli de tristesse et de compassion pour ces deux saints missionnaires. Si le jour de mon départ de Quang-Uyên avait été pour moi un jour bien triste, le jour où j'ai appris que le Père Brébion était mort abandonné, et que le Père Maillet avait été appréhendé et amené dans un endroit inconnu, j'ai senti mon coeur comme pressé dans une main de fer, et comme incapable de battre...tant était profonde ma tristesse...! Cependant, je sais qu'en ce monde, Dieu permet souvent que les saints endurent des supplices très amers, qui sont un témoignage de leur amour pour Dieu...

 Je ne sais où se trouve actuellement le Père Maillet. Oh! si ce saint missionnaire est déjà rendu au ciel, quelle consolation pour moi! Dans ce cas, il comprendra clairement les sentiments de mon coeur, à savoir: que je me suis séparé de lui à Quang-Uyên, pas du tout par ingratitude, mais parce que je devais suivre la volonté de Dieu!... 

 Enfin, mon cher Père, en ce qui vous concerne...Lorsque j'ai dû quitter le vicariat de Langson, vous avez été le seul à me donner un sourire affable...! Oh! cher Père! jamais je ne pourrai vous oublier. Je souhaite que votre apostolat produise des fruits de plus en plus abondants. J'offre à Dieu ma courte vie, je lui offre mes sacrifices et mes fatigues de chaque jour, pour vous aider dans votre travail d'évangélisation. Par la prière, j'unis mes forces aux vôtres pour le salut des âmes que vous poursuivez avec tant de zèle.

 Mon Père, je suis sûr que ma vie sera courte...Cependant, que je sois au ciel ou sur la terre, permettez que je sois apôtre avec vous.

 Veuillez me bénir.

Votre petit loup, J.M.T.Marcel, C.ss.R. 

Bulletin N°7:

 

Témoignage du Professeur Lê Hûu Muc

 

 Du 2 Avril au 2 juin 1987, j'ai lu avec une grande attention le manuscrit rédigé en vietnamien par le Frère Marcel Vàn en configuration avec sa version française faite par le Révérend Père Antonio Boucher. Après deux mois de lecture minutieuse, je tiens à faire quelques remarques concernant la traduction en français de l'Autobiographie du Frère Marcel Vàn.

 Le vietnamien est une langue à tons et monosyllabique dont le vocabulaire se compose d'un fond de mots austro-asiatiques superposé de plusieurs couches de mots d'origine chinoise; il bénéficiait depuis le XVII0 siècle de la romanisation de son écriture faite par les missionnaires européens, par le Père Alexandre de Rhodes en particulier, ce qui rendait faciles et commodes aux Vietnamisants l'étude et l'apprentissage de la langue.

 En outre, l'uniformité de la disposition grammaticale du discours des deux langues vietnamienne et française, l'unité lexicale de leur vocabulaire général, essentiellement polysémique, la similitude du système phonologique des deux langues, tout contribue à faciliter l'acquisition rapide des études des phonèmes du vietnamien et de leur distribution, des règles de combinaison des morphèmes et des syntagmes vietnamiens ainsi que de leurs sens définis avec exactitude dans des dictionnaires compilés par les missionnaires européens eux-mêmes. Face à ces opportunités qui les favorisent particulièrement, les francophones, comme les pères rédemptoristes québécois, ont la possibilité étonnante de maîtriser la langue vietnamienne après trois mois de travail intensif.

 C'était le cas du R.P. Antonio Boucher, arrivé au Vietnam en 1935. Dès sa première rencontre avec le jeune Vàn, il l'encourageait à écrire le récit de son itinéraire spirituel, aussi connaissait-il le manuscrit de Vàn depuis sa genèse; il reste le seul personnage capable d'utiliser une compétence psychologique qui s'ajoute à sa compétence linguistique pour déchiffrer les structures profondes de l'information donnée par Marcel Vàn.

 Cette information est transmise dans un style très simple et dépourvu de tout ornement stylique ; c'est le parler quotidien des gens du bas peuple dont était issu le Frère Marcel et avec qui le père Boucher avait étudié son Vietnamien. Pour lui donc, le style de Marcel Vàn ne réside pas dans une opposition paradigmatique mais syntagmatique. Ainsi, le Père Boucher reste le seul apte à souligner les traits significatifs du message de son protégé spirituel, lui seul puisse se donner la culture maximale pour repérer les unités dont Marcel Vàn a balisé son texte.. La traduction du manuscrit de Vàn a été faite par une main de maître et avec une fidélité étonnante.

 En outre, le respect des principes d'organisation de la langue vietnamienne, dans toutes leurs complexités lexicologiques et sémantiques, la compréhension de la flexion morphémique et lexicale dans la formation des mots vietnamiens offrent au traducteur de la facilité dans le choix des termes précis, de la richesse dans l'utilisation des mots pittoresques, ce qui rend la lecture de la version française agréable et notoirement édifiante.

 Je crois fermement que la traduction française de l'Autobiographie du Frère Marcel Vàn contribuera énormément à rendre accessibles à un vaste public la vie et l'âme de ce religieux vietnamien.

 Fait à Montréal, 12 juin 1987. 

signé : Professeur Lê Hûu Muc

Docteur ès-lettres vietnamiennes de l'Université de Saigon.

Promoteur du programme d'études vietnamiennes dans les écoles du Québec.

La rubrique Témoignage du bulletin invite tous les Amis de Vàn à prendre la mesure de la bonté de Dieu et des merveilles qu'il produit dans les âmes confiantes en son Amour.

A cet égard, la lettre du 4 janvier 1948, que le Frère Marcel Vàn écrit au Père Drayer Dufer, o.p., Père économe à Langson au printemps 1942, nous semble mériter une attention particulière.

Révérend et cher Père,

 Je me proposais de vous écrire à l'occasion du premier jour de l'an français, mais j'ai ensuite oublié. Heureusement, il me reste le "Têt" vietnamien; j'en profite pour vous faire répéter votre vietnamien. Je ne sais si ma lettre sera longue, mais j'ai demandé au Père Maître deux grandes feuilles de papier. J'écris pour voir quelle en est exactement la longueur.

 Mon cher Père, je vous aime beaucoup, et c'est en vue des âmes que je vous aime. Mon pays est actuellement comme une fleur fanée, et pourtant les bombes et les obus ne cessent d'éclater, jetant cette fleur fanée dans un état plus déplorable encore. J'éprouve en mon coeur une profonde tristesse. Les missionnaires sont dispersés, et les âmes ne savent à qui se confier...C'est vraiment pitoyable pour les âmes qui aiment Dieu.

 Mon Père, je vous prie de ne pas interrompre votre travail missionnaire. A propos, je me demande si vous êtes vivant ou mort. Il est probable que vous êtes encore vivant, puisque vous devez poursuivre votre carrière de missionnaire. N'oubliez pas le Vietnam, n'est-ce pas? Il s'y trouve une foule d'enfants en bas âge, qui n'ont pas encore de maman pour les nourrir. Il y a beaucoup de mères adoptives qui ne méritent pas le nom de maman, parce qu'elles ont donné à leurs petits, je veux dire aux petites âmes, du poison à boire. C'est pourquoi ces petits ont besoin d'être soutenus par les mains d'une mère pleine de tendresse. Mon Père, n'oubliez pas vos petits, n'est-ce pas? Mon appel est l'appel des âmes. Je soupire après votre retour au Vietnam plus que les petits enfants ne soupirent après le retour de leur maman partie au marché. Vous aimez Jésus, veuillez ne pas oublier d'avoir pitié des petits enfants de Jésus, que sont les âmes, au Vietnam.

 Mon Père, voilà le seul appel que je puisse vous lancer. En même temps que vous écoutez les nouvelles de la guerre au Vietnam, écoutez aussi la voix des âmes qui vous presse. Vraiment, ce sont là deux voix discordantes; l'une qui vous pousse à vous arrêter, l'autre qui vous presse d'avancer. Cependant, je suis certain que vous devrez revenir avec vos petits enfants, car leur voix ne cesse de retentir avec instance à vos oreilles.

 Mon Père, mon pays est en ruine, les âmes sont ensevelies dans la souffrance. Ne l'oubliez pas. Actuellement, il semble que le travail apostolique soit interrompu; mais on ne peut interrompre la prière. Je vous demande donc d'avoir pitié de vos petits enfants, de les consoler, de les caresser, au moyen de la prière.

 De mon côté, je ne puis vous oublier, vous mon Père, ni les prêtres de France, car je sais que la source qui a alimenté l'amour de Jésus dans le monde n'est pas encore entièrement tarie, mais qu'elle continue de couler sans cesse. C'est pourquoi je n'ai pas hésité à offrir mes souffrances et mes pauvres prières pour les prêtres de France et pour leur pays. Je ressens profondément la douleur des âmes qui, dans mon pays sont accablées de souffrances; mais je ne ressens pas moins les souffrances des âmes qui, en France ploient sous le joug écrasant du communisme. Cependant, je m'unis à mon petit Bien-Aimé et aux âmes sincères pour prendre le ferme engagement que voici: Grâce à mes peines intérieures, grâce aux moindres soupirs que je laisse échapper durant ma prière, je triompherai du joug écrasant du communisme...

 Ah! mon Père, c'est là une résolution bien forte, n'est-ce pas? Et si les communistes mettaient la main sur cette lettre, ils ne manqueraient pas de se moquer de moi. Cependant, s'ils avaient un peu de foi, ils n'auraient pas la présomption de rire, ou bien ils riraient jaune et auraient lieu de s'inquiéter.

 Maintenant, je ne parle plus des communistes... Bien que j'éprouve de la tristesse, je suis quand même toujours joyeux, parce que je sais aimer beaucoup le petit Jésus. Il est toujours triste, lui, mais c'est avec joie qu'il endure sa tristesse, de sorte qu'il est toujours joyeux. Il en est de même pour moi. Actuellement, je ne puis plus être appelé extérieurement votre petit loup; je pleure toujours, mais je le fais dans ma chambre, et personne ne s'en aperçoit. Par contre, je ris aussi continuellement, car les gens, sachant que je pleure facilement, je dois me montrer toujours joyeux avec eux.

 L'an passé, je croyais que Jésus était sur le point de m'emmener dresser ma tente en paradis; mais j'ai attendu en vain. Je suis toujours vivant! Bien que je sois fatigué, Jésus ne m'a pas encore accordé mon repos. C'est bien triste, mon Père, mais je dois être joyeux d'avoir à endurer cette tristesse. Est-ce que vous êtes dans le même état? Est-ce que la maladie vous a quitté? Il y a un an, vous alliez déjà mieux; cette année, vous êtes certainement en très bonne santé.

 Je suis très triste, mon Père, j'aurai bientôt un an de plus, ce que je ne désire pas du tout. Je me console un peu, en pensant que cette année, il me sera donné d'aller jouer avec les saints Innocents, qui viendront certainement me prendre pour jouer avec eux au ciel. C'est là une chose que je désire beaucoup!...

 Mais, je constate que je ne vous ai pas encore présenté mes voeux de bonne année:

 Mon Père, je vous souhaite d'avoir le même esprit que la petite Thérèse, afin que vous soyez toujours rempli de zèle pour les âmes, au Vietnam.

 Veuillez accepter ce souhait, n'est-ce pas? Je demande à la petite Thérèse de voir à ce qu'il se réalise.

 Au revoir, mon cher Père,

J.M.T. Marcel. 

(C-67)

Les Amis de Vàn

Ceux qui le désirent peuvent aider par leur générosité et leurs dons l'édition et la diffusion de cette publication ainsi que la réalisation des activités apostoliques conduites également par  Les Amis de Vàn .

 

Oeuvres du Frère Marcel déjà publiées

 

L'amour ne peut mourir.

Père Marie-Michel. Vie de Marcel Vàn.

Le Sarment / Fayard. Témoins de la lumière. 65 F-274 pages.

L'amour me connaît.

Père Marie-Michel. Ecrits spirituels de Marcel Vàn.

Le Sarment / Fayard. Paroles de lumière. 75 F-304 pages.

L'enfant de l'aurore.

Père Marie-Michel. Correspondances de Marcel Vàn.

Le Sarment / Fayard. Paroles de lumière. 69 F-295 pages.

Tinh jêu không thé chêt.

Version en langue vietnamienne

de L'amour ne peut mourir.

Les Amis de Vàn.

50 F-286 pages.

Vàn, petit frère de Thérèse.

Petite histoire illustrée.

Numéro spécial de Vianney.

30 F-68 pages.

Le Rosaire . Textes de Vàn

Monastère de Chambarand 18 F-42 pages.

Cassette vidéo.

L'Amour ne peut mourir.

La vie de Marcel Vàn.

Rassemblement à son image.

160 F-1 heure.

Cassettes audio. 25 F

Vàn,

l'Enfant au coeur de feu.

Père Daniel-Ange.

Diakonia.

Vàn et Thérèse.

Père Marie-Michel.

Maria Multi Media

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Conformément aux décrets du Pape Urbain VIII, nous déclarons ne prétendre, par ce bulletin diffusé à l'intention des Amis de Vàn, anticiper en rien le jugement officiel de l'Eglise à qui seule appartient de décerner le titre de Saint. A l'avance nous nous soumettons filialement et sans réserve à sa décision.

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